Point de mire Les «murmurations» des étourneaux sont non seulement un spectacle époustouflant, elles constituent aussi un défi pour les chercheurs, toutes branches confondues. Ballets aériens Les oiseaux volent en nuées pour se protéger des prédateurs, traverser les continents sans encombre et économiser de l’énergie. Mais comment parviennent-ils à changer brusquement de direction et à synchroniser leur vol? Les chercheurs tentent toujours de comprendre ce phénomène. Prof. Barbara Helm, responsable Migrations, Station ornithologique suisse de Sempach Photo: Adobe Stock 16 5/22 vsao /<strong>asmac</strong> <strong>Journal</strong>
Point de mire La migration des oiseaux et les autres chorégraphies de ces acrobates aériens fascinent les humains depuis des siècles. Les oiseaux qui se déplacent en formation sont particulièrement remarquables. Certains auteurs romains les qualifiaient de «vaisseaux de chasse» aériens. Ils ne représentent néanmoins qu’une petite partie des migrateurs: la plupart des oiseaux migrent la nuit et souvent seuls ou en groupes informels. Ce sont surtout les espèces hautement sociales qui se déplacent collectivement. En nuée ou en formation, ils migrent entre leur site de reproduction et leur quartier d’hiver, et souvent aussi entre des lieux de repos et des points d’alimentation communs. Mais on observe également des mouvements de vol synchronisés remarquables dans d’autres contextes sociaux. Les rapaces, par exemple, se livrent à des jeux aériens communs époustouflants lors de l’accouplement, que l’on retrouve également dans le comportement de jeu des grands corbeaux. Certaines figures peuvent s’effectuer dans des arrangements spécifiques, peut-être comparables à une danse dans un espace tridimensionnel. D’autres espèces sociales, comme les martinets, chassent ensemble à grande vitesse dans les agglomérations, un comportement qui peut servir à la formation en groupe. Les formations peuvent couvrir un large spectre. Cela commence par un regroupement apparemment désuni, mais dans lequel les oiseaux changent brusquement de direction ensemble (exemple du bécasseau variable). De telles nuées peuvent se contracter ou s’étendre tout aussi rapidement, surtout si un prédateur se trouve à proximité, l’exemple le plus frappant étant celui des étourneaux, dont les «murmurations» ressemblent à de véritables ballets aériens. Ornithologues, modeleurs et économistes se préoccupent de savoir comment les oiseaux parviennent à synchroniser leur vol aussi rapidement. Ensemble, ils tentent de décoder les mouvements de groupe à l’aide des techniques les plus modernes. La précision avant tout Le vol en groupe présente assurément de grands avantages, d’une part pour se protéger des prédateurs, et d’autre part pour échanger des informations et trouver son chemin («intelligence collective»). Outre les avantages cités, le vol en groupe désuni comporte aussi des inconvénients, car les oiseaux doivent effectuer des manœuvres de vol très précises et énergivores. Les collisions sont cependant extrêmement rares, elles se produisent principalement lorsqu’une nuée est déstabilisée par un rapace qui l’attaque ou par la pollution lumineuse nocturne. On observe des formes plus ordonnées dans de nombreuses variations. Les mouettes, par exemple, volent souvent en file côte à côte, et on peut également observer des vols en chaîne en ligne droite chez certaines espèces. Toutefois, la formation la plus classique est probablement le vol en chevron clairement structuré (également appelé formation en V): le leader du groupe est positionné en tête, suivi à gauche et à droite par d’autres oiseaux en ligne décalée en V. Les oiseaux peuvent voler en chevron parfait ou asymétrique, et parfois aussi en une seule ligne décalée. Cette forme de vol se retrouve chez de nombreux grands oiseaux. C’est le cas notamment des oies de différentes espèces qui volent en groupes familiaux et coordonnent leurs mouvements de vol collectifs par des vocalisations permanentes. Les ibis, les cormorans, les cigognes, les grues, les grands limicoles et les oiseaux de mer comptent parmi les autres espèces qui volent en formation. Outre les avantages du vol en groupe mentionnés ci-dessus, la formation de vol en chevron présente des atouts indéniables sur le plan aérodynamique. Si les oiseaux se positionnent précisément les uns par rapport aux autres, seul le leader doit supporter toute la charge énergétique du vol. Tous les autres oiseaux bénéficient de son sillage pour économiser de l’énergie. Le leader est donc non seulement expérimenté dans la recherche d’une destination, mais aussi en bonne condition physique. Au bout d’un certain temps, il se met en retrait et un autre oiseau prend le relais. Chez les oies, ce changement est parfois annoncé par des vocalisations. Les avantages aérodynamiques de la formation en V étaient présumés depuis longtemps. Des calculs ont révélé des économies supposées d’environ 10 à 20 % de l’énergie nécessaire au vol. De telles économies ont d’abord été démontrées expérimentalement dans des souffleries, puis sur des oiseaux en vol libre grâce à de nouvelles technologies. Des enregistrements physiologiques sur des pélicans roses (Pelecanus onocrotalus) en vol libre ont montré que les oiseaux suiveurs avaient une fréquence cardiaque nettement plus basse que celle du leader, économisant ainsi beaucoup d’énergie. Manœuvrer dans l’espace Pour réaliser une telle économie, les mouvements des oiseaux doivent toutefois être coordonnés avec précision. Récemment, une étude très remarquée a examiné une espèce locale d’ibis, l’ibis chauve (Geronticus eremita), en vol libre en groupe. Les ibis chauves portaient des mini-ordinateurs dotés d’une localisation GPS et de capteurs inertiels. De plus, les animaux, qui faisaient partie d’un programme de réintroduction, ont été filmés depuis des avions légers par des chercheurs «navigants», permettant ainsi d’enregistrer simultanément le trajet migratoire et le comportement de chaque animal. Les chercheurs ont observé que les oiseaux qui se suivent en formation en V se positionnent précisément par rapport à celui qui les précède. Ils respectent exactement la phase de leur prédécesseur avec l’extrémité de leurs ailes et volent avec des battements d’ailes synchronisés. Ils peuvent ainsi utiliser de manière optimale les courants ascendants générés par leur prédécesseur et éviter les vents descendants. Lorsque les ibis chauves volent en ligne directe les uns derrière les autres, cette synchronisation de phase n’existe pas. Les oiseaux effectuent donc des manœuvres spatiales très complexes et ciblées pour profiter de la formation. Il est toujours impressionnant de constater à quel point les oiseaux migrateurs font preuve d’inventivité lors de leurs grands voyages. vsao /<strong>asmac</strong> <strong>Journal</strong> 5/22 17