Rotary Magazin 10/2023
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SCHWERPUNKT – ROTARY SUISSE LIECHTENSTEIN – OKTOBER <strong>2023</strong><br />
ROTARIEN EN POINT DE MIRE<br />
LE CHIMISTE QUI A LA FIBR<br />
32<br />
Le Rotarien Pierre Vogel est Professeur honoraire de l’EPFL en<br />
chimie. Le premier choc pétrolier en 1973, année de sa nomination<br />
comme professeur-assistant, l’a conduit à se détourner du<br />
carbone fossile et d’entreprendre des recherches qui valorisent la<br />
biomasse. Après avoir contribué à la synthèse de produits antitumoraux<br />
et d’antibiotiques, il tente depuis des années à démontrer<br />
que des solutions réalistes existent pour sauver le climat.<br />
Traverser le campus de l’École Polytechnique<br />
Fédérale de Lausanne (EPFL) et de<br />
l’Université de Lausanne (UNIL) avec Pierre<br />
Vogel, c’est un peu comme si on se promenait<br />
dans son quartier. Il connaît l’histoire<br />
des lieux qu’il a vus se développer.<br />
Après avoir installé les travaux pratiques<br />
de chimie pour le deuxième cycle à Dorigny,<br />
il fut le délégué du Rectorat de l’UNIL<br />
pour la construction du Batochime, un<br />
imposant bâtiment qui s’élève sur six<br />
étages et ressemble à un navire. Il a coûté<br />
<strong>10</strong>0 millions et fut inauguré en 1995.<br />
Grâce à la vision des ministres et la générosité<br />
des gouvernements vaudois, il permit<br />
de réunir la Police scientifique et les<br />
chimistes de l’UNIL à côté des chimistes de<br />
l’EPFL, école qui avait obtenu son statut<br />
fédéral en 1969.<br />
SAUVER DES VIES<br />
La chimie n’était pourtant pas le premier<br />
choix de celui qui a grandi dans les vignes<br />
de Lavaux. Né à Cully (VD) le 23 octobre<br />
1944, il était plutôt intéressé par le<br />
domaine médical. En discutant autour<br />
d’un café avec lui on comprend bien une<br />
de ses motivations. Une tante qu’il adorait<br />
était décédée d’une maladie de la peau,<br />
un voisin de deux ans son aîné avait succombé<br />
à la leucémie dans son enfance.<br />
« Je voulais trouver un médicament qui<br />
puisse sauver des vies », dit-il en rétrospective.<br />
Comme il n’avait pas étudié le latin, il<br />
ne put pas s’inscrire en médecine et se<br />
dirigea vers la chimie. Logique : la chimie<br />
permet la création de médicaments.<br />
Durant les années 1980 Pierre Vogel développe<br />
des méthodes de synthèse combinatoires<br />
qui ont contribué à l’obtention de<br />
substances antitumorales. Quand on lui<br />
demande si c’est gratifiant pour un scientifique<br />
de faire « quelque chose d’utile<br />
pour la société », il s’exclame : « Mais c’est<br />
bien ce que je voulais ! »<br />
DU PÉTROLE<br />
AU BIO-CARBONE<br />
À l’Université de Yale aux USA de 1969 à<br />
1971 il étudie les mécanismes des réactions<br />
de la pétrochimie. Puis iI découvre les<br />
produits naturels lors d’un premier emploi<br />
chez Syntex à Mexico. 1973, année de la<br />
crise pétrolière, il est nommé professeur<br />
assistant à l’UNIL. Le fait qu’il voulait se<br />
détourner du pétrole et travailler avec une<br />
autre source de carbone, découlait à<br />
l’époque encore plutôt d’une logique économique<br />
qu’écologique. « Il était évident<br />
que cette source de carbone pouvait se<br />
tarir. » Pierre Vogel cherchait donc une<br />
autre solution, le bio-carbone tiré de la<br />
biomasse. À l’époque, Jacques Piccard, le<br />
fameux océanographe vaudois et père de<br />
Bertrand Piccard, psychiatre, explorateur<br />
et environnementaliste, donnait déjà des<br />
conférences sur l’urgence de trouver une<br />
alternative au carbone fossile. « Il m’a<br />
éveillé à la question », raconte Pierre<br />
Vogel.<br />
À partir de la paille il se mit à fabriquer<br />
des substances compliquées dont les<br />
anthracyclines. Pierre Vogel sourit quand<br />
il voit la surprise de la journaliste, mais c’est<br />
un sourire en demi-teinte. Car le constat le<br />
désole : la chimie organique est totalement<br />
méconnue ; elle a mauvaise réputation<br />
– on pense rapidement aux scandales<br />
de Schweizerhalle et de Seveso et on<br />
rejette ce qui y a trait. Pierre Vogel en est<br />
conscient : « Les gens ont peur de la<br />
chimie. Et pourtant, ce ne sont pas les<br />
chimistes qui sont responsables de tels<br />
scandales, mais les industriels qui n’investissent<br />
pas assez dans la sécurité. »<br />
UN COURS SE TRANSFORME<br />
EN LIVRE<br />
Le scientifique plaide pour que les<br />
lacunes soient comblées au niveau des<br />
gymnases au plus tard. « On n’apprend<br />
pas suffisamment de chimie organique.<br />
Même les enseignants au gymnase n’en<br />
ont pas conscience », s’exclame-t-il. En<br />
2018, huit ans après sa conférence<br />
d’honneur à l’EPFL, une connaissance qui<br />
enseigne la chimie au gymnase lui avait<br />
justement posé la question : est-ce qu’il<br />
est encore utile d’enseigner la chimie<br />
organique ? Le professeur honoraire lui<br />
propose alors spontanément de préparer<br />
un cours pour elle.<br />
Pierre Vogel pose sa tasse de café<br />
devant lui et se saisit d’un grand livre épais<br />
dans sa serviette. « Voilà ce que ce projet<br />
de cours est devenu », dit-il avec un grand<br />
sourire. En effet, le scientifique a fini par<br />
écrire des centaines de pages sur le sujet<br />
du bio-carbone et le développement<br />
durable. « Sustainable Development. The<br />
roles of carbon and bio-carbon : An introduction<br />
to molecular sciences » est donc<br />
dédié à l’enseignante qui « ne pouvait pas<br />
imaginer que le carbone pouvait nous<br />
rendre service dans le développement<br />
durable », et à tout un chacun sensible à<br />
la question de l’écologie.<br />
Chez lui, c’est une évidence : quand il<br />
insiste sur les possibilités qu’aurait la Suisse<br />
de s’affranchir de la dépendance en énergie<br />
de l’étranger et d’atteindre le niveau<br />
zéro carbone net, toute sa personne<br />
exprime l’engagement et la passion. Il<br />
tourne les pages de son livre, montre des<br />
dessins et des schémas qui mènent à une<br />
évidence : « Certains pensent que carbone<br />
et développement durable ne sont pas<br />
compatibles. Ce manuel montre que le<br />
dioxyde carbone et le bio-carbone tiré de