discours indirect libre - e-Sorbonne

Chapitre I Le discours indirect libre : tentatives de définition 43
absent, que les événements « se racontent dřeux-mêmes » (comme dit Benveniste), « le
monde se reflète dans la conscience du personnage » 36 . Cette image du narrateur effacé
ne doit pas amener à dire que le narrateur est totalement absent, ce qui a été lřidée de
Banfield. Comme le remarque Genette dans sa critique, ce récit sans narrateur serait une
pure chimère. Le rôle du narrateur chez Flaubert est de sélectionner des scènes, de faire
un gros plan sur les détails choisis, à lřimage de la caméra, pour montrer ce qui relève
du champ de vision du personnage. Le DIL en tant que mode de représentation des
paroles et pensées du personnage nřest pas le seul procédé qui constitue cette réputation
du roman flaubertien. Aucune description de la scène, aucune caractéristique donnée à
tel ou tel événement nřest anodine. En effet, elles sont toujours motivées par la
réception chez un personnage, en lřoccurrence Emma. La « mise en paroles » de ces
scènes ne vient pas toujours du personnage (si cřest le cas, nous avons affaire à du DR)
mais du narrateur qui a cette capacité dřanalyse, de réflexion : le personnage ne peut pas
toujours trouver les paroles justes qui expriment ce quřil ressent sur le moment, alors
que le narrateur, lui, a le temps de réflechir sur la forme quřil va donner aux émotions,
sensations, pensées. Voyons lřexemple suivant qui décrit Charles Bovary peu après son
mariage avec Emma :
(7) La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le
monde y défilaient, dans leur costume ordinaire, sans exciter dřémotion, de rire ou de
rêverie. Il n'avait jamais été curieux, disait-il, pendant qu'il habitait Rouen, d'aller voir au
théâtre les acteurs de Paris. Il ne savait ni nager, ni faire des armes, ni tirer au pistolet, et il
ne put, un jour, lui expliquer un terme dřéquitation quřelle avait rencontré dans un roman.
Madame Bovary
Cette caractéristique de Charles est motivée uniquement par les sentiments du
personnage principal, Emma, et non par le désir du narrateur de faire connaître son avis
au lecteur en le dirigeant dans le récit. Dans cet exemple, nous avons un échantillon de
DIL avec lřincise disait-il, qui représente les paroles de Charles, et le contexte de ce
DIL nřest rien dřautre que la perception subjective dřEmma. Ce sont ses sentiments qui
motivent lřapparition du DIL ici : les paroles de Charles viennent confirmer ce que
pense Emma de son époux. Ainsi, le narrateur sélectionne les sentiments pour les
36 Cité dans Ju. V. Mann (1992) dřaprès Stanzel, Zur Struktur des Romans (1978).