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LES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUE n°1.pdf - Institut Jean Vigo

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A la vue de certaines images, il manifestait sa joie, au détour de l’intrigue il se taisait, ému et,<br />

haletant, tandis que retombait le silence dans la salle, où ne bourdonnait plus, entre chaque morceau de<br />

l’orchestre, que le chuchotement de ceux qui avaient pris l’habitude de lire les sous-titres à mi-voix.<br />

Il fallait d’ailleurs que « l’intérêt de ce spectacle à la mode ne faiblisse pas et que la curiosité des amateurs<br />

de films soit sans cesse tenue en éveil, puisque partout des foules de plus en plus alléchées restent fidèles<br />

à ce genre de représentation (1). Cette foule résistait difficilement à l’attirance des lumières électriques qui<br />

brillaient sur les façades des deux cinémas et des nombreuses « affiches qui hurlaient sur les murs de la<br />

ville ». Elle venait prendre sa part de rêve et laissait au dehors ses soucis et ses problèmes quotidiens. C’est<br />

de quoi se plaignait, en 1913, le rédacteur de « l’Action syndicale des Pyrénées Orientales », en donnant le<br />

compte-rendu d’une réunion contre la guerre, à laquelle avaient assisté plusieurs délégations de femmes de<br />

la campagne : « j’aurais souhaité, écrivait-il, que celles de Perpignan, qui brillaient par leur absence, se<br />

soient trouvées nombreuses à ce meeting, au lieu de s’intéresser aux séances de cinéma ».<br />

Mais la majorité des gens ne pensaient pas à la guerre. Le soir venu, de longues files de spectateurs se<br />

formaient devant les deux établissements de projections, poussées par une publicité qui n’avait pas encore<br />

l’image à sa disposition dans les journaux (2), et par des communiqués de presse qui choisissaient un style<br />

lyrique et passionné, aux adjectifs rares et percutants pour décrire les drames mondains et les histoires de<br />

mœurs qui proliféraient. La vogue du « sérial », qui allait de plus en plus s’intensifier sur les écrans, pendant<br />

la guerre, avec les film à épisodes, dont chaque partie se terminait par une question angoissante, mobilisa<br />

dans les salles obscures des cohortes de spectateurs avides de connaître « la suite » de ces aventures, la<br />

plupart du temps policières.<br />

Cette floraison d’intrigues se développa entre 1912 et 1914, dans les publications populaires et sur la<br />

pellicule. C’était aussi l’époque de la bande à Bonnot et des « bandits tragiques », dont la presse décrivait<br />

chaque jour les exploits (3). Conscient de l’intérêt que les lecteurs portaient à ce genre de faits-divers, le<br />

cinéma s’empressa de « traduire en image le roman feuilleton, de faire mimer du Rocambole, de rechercher<br />

les incidents les plus émouvants et les plus sensationnels, dans la rubrique des crimes, des rapts, des vols<br />

et des sinistres (4) ». Après les tribulations de « Nick Carter » et de « Zigomar », les péripéties des « Horsla-loi<br />

» et de « la Bande de l’auto grise », on célébra les exploits du maître de l’effroi « Fantomas » et de son<br />

homologue, le bandit femelle « Protea ».<br />

Devant l’engouement du public pour cette apologie du meurtre, cette peinture de milieux parfois<br />

sordides et cette prolifération « d’amours coupables » (5), un mouvement se dessina qui accusa le cinéma<br />

de « tristes agissements de plusieurs bandes de malfaiteurs », « de saper les bases de la société » et<br />

surtout, d’être « une école de perversion » pour la jeunesse. Ce dernier argument servit de thème de<br />

réflexion à deux journalistes locaux : César BOYER et Horace CHAUVET. Ce dernier remarquait que, s’il<br />

n’y avait aucun danger, pour les adultes, à être mis en présence de ce que Baudelaire appelait « la<br />

ménagerie infâme de nos vices », il n’en était pas de même en qui concernait les enfants. A cette époque, le<br />

public se déplaçait par familles entières. Le jeudi après-midi, grâce au demi-tarif, les cinémas étaient pris<br />

d’assaut par les jeunes spectateurs qui descendaient de tous les quartiers populaires, et il était « indécent<br />

de faire passer sous leurs yeux » des scènes de meurtre, « d’adultère et des vues d’orgies scandaleuses ».<br />

(1) Déjà en Décembre 1911, les limonadiers éloignés du centre de la ville étaient unanimes à déclarer<br />

que les représentations cinématographiques leur causaient un préjudice considérable.<br />

(2) Si la publicité cinématographique illustrée apparut à Perpignan à partir de 1924, ainsi que nous le<br />

verrons dans la 3 ème partie, le premier pavé non illustré fut publié dans « L’Indépendant » en Janvier<br />

1914.<br />

(3) CALLEMIN, MONNIER et SOUDY, dont les méfaits défrayèrent la chronique.<br />

(4) Horace CHAUVET ( in « L’Indépendant » du 23 Septembre 1913).<br />

(5) « Peut-être ce succès (celui du cinéma) ne serait-il pas aussi grand si les programmes ne<br />

contenaient parfois des exhibitions que la morale réprouve, des scènes réalisées en des bouges<br />

infects, ou des idylles qui ont cessé d’être platoniques ». (In « L’Indépendant du 23 Septembre<br />

1913).<br />

© Cinémathèque euro-régionale <strong>Institut</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Vigo</strong> <strong>LES</strong> <strong>CAHIERS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> <strong>CINEMATHEQUE</strong> N° 1 janvier 1971<br />

Arsenal espace des cultures populaires – 1 rue <strong>Jean</strong> Vielledent, 66000 PERPIGNAN Tél. 04.68.34.09.39 Fax. 04.68.35.41.20<br />

courriel : contact@inst-jeanvigo.com site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr<br />

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