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LES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUE n°1.pdf - Institut Jean Vigo

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Pour la religion catholique, précisons-le au passage, cette dévotion à la vierge est d'un point de vue<br />

théologique "suspecte" (à l'époque où paraît le livre bien plus qu'à celle où paraît le film). Souvenons-nous :<br />

la doctrine de l'Immaculée-Conception, qui marque l'apothéose féminine au sein de la religion catholique, n'a<br />

été proclamée par le pape PIE IX que le 8 décembre 1854, c'est à dire quelques vingt ans à peine avant la<br />

publication de "la faute de l'abbé Mouret". Souvenons-nous aussi que cette apothéose a été imposée par le<br />

courant populaire. Souvenons-nous enfin de tel père de l'Eglise "EPIPHANIE" qui disait : Le corps de Marie<br />

est saint, mais elle n'est pas divine; elle est vierge et digne des grands honneurs, mais elle ne doit pas être<br />

pour nous un objet d'adoration", ou encore des paroles de Saint AMBROISE : "Marie était le temple de Dieu<br />

et non le Dieu du Temple, c'est pourquoi seul doit être adoré Celui dont la présence anime le Temple". Du<br />

point de vue théologique, c'est là que réside la faute de l'abbé Mouret. Frère ARCHANGIAS l'orthodoxe nous<br />

le dit.<br />

Mais pour Franju, c'est là une question mineure qu'il ne s'est d'ailleurs certainement pas posée. Par<br />

contre ce qu'il a questionné, c'est l'apparentage spirituel au monde de Serge Mouret. Il a cherché à en<br />

comprendre la détermination (la mère de Serge était une "dévote hystérique" – aveu du Dr PASCAL) et le<br />

mobile subjectif (Serge a été très tôt séparé de sa mère) : la dévotion à la VIERGE exprime un sentiment<br />

nostalgique de la mère perdue. Son engagement sacerdotal, il l'éprouve douloureusement. S'il a demandé à<br />

son évêque une paroisse pauvre et lointaine, c'est parce que cet engagement lui pèse et qu'il veut fuir et<br />

cacher la misère de ses vingt cinq ans qui ne peuvent pas ne pas s'apercevoir que la nature existe et fait<br />

mal. Le village des ARTAUD, lieu de retraite est aussi lieu d'apparition-révélation d'Albine : tout à la fois<br />

VIERGE-MERE et FEMME. C'est à ce moment-là que l'apparentage spirituel au monde se brise et que<br />

Serge tombe malade. L'homme dans le prêtre affirme ses droits.<br />

Lorsque le Dr PASCAL conduit Serge au PARADOU, il le conduit en homme de science conscient, à<br />

la libération et à la régénération, c'est à dire à sa mère. Le voyage en calèche, des ARTAUD au PARADOU<br />

est symboliquement la reconstitution du cordon ombilical.<br />

Au "Paradou" Serge guérira, mais à moitié. Je m'explique. En Albine, il rencontre charnellement cette mère<br />

présente dans l'image de la VIERGE. Dans une des plus belles scènes érotiques que le cinéma nous ait<br />

offertes, Serge tente de récupérer physiquement (par le sein) cette mère, de s'insuffler la vie. Et comme<br />

dans le cas de la schizophrène étudiée par Sèchehave, "cette expérience de la nourriture maternelle<br />

coïncide avec un premier stade de la guérison". On peut donc croire Mouret sur le chemin de l'humanité. Là,<br />

si en Albine, il n'a pas reconnu d'autre femme que sa mère, ce sein qui pouvait- être un sein éducateur<br />

(étymologiquement : "qui conduit hors") n'est, dans l'expérience qu'en fait Serge, qu'un sein nourricier. Dès<br />

lors les Forces néfastes de la Nuit avec leurs fantasmes culpabilisants et leur ARCHANGIAS peuvent<br />

réapparaître et avoir raison de lui car il est faible. D'une faiblesse qui trouve sa racine dans un défaut d<br />

'amour qui l'empêche de triompher de son passé. Un défaut d'amour qui est le produit psychique des diktats<br />

intériorisés du Père (cf ARCHANGIAS) qui le reconduisent à son ministère, à son Eglise. Ce défaut d'amour<br />

est bien entendu une peur de l'amour et de la femme.<br />

La faute de l'abbé Mouret qui s'était ouvert sur une transgression se referme sur ce que j'appellerai<br />

une régression. Il y a régression car SERGE – quelle que soit d'ailleurs la qualité nouvelle de sa foi – s'arrête<br />

à l'image mentale, au signe, pourrait-on dire, de la femme, ou encore au fétiche (objet-fée). Il y a régression<br />

au fétichisme (n'y-a-t-il pas ici une critique fondamentale du christianisme ?) et à l'imaginaire consolateur. Il y<br />

a confirmation de l'impuissance.<br />

Je me refuse à interpréter la dernière image du film (la transfiguration de la Vierge en ALBINE), ainsi que l'a<br />

fait une certaine gauche catholique comme la preuve d'une libération de Serge. Serge est un vaincu.<br />

Au moment de la mise en terre du corps d'Albine, il y a bien chez lui un mouvement de révolte à<br />

l'égard de l'affreux ARCHANGIAS, mais ce mouvement arrive trop tard. C'est à l'Eglise où Albine était venue<br />

le chercher qu'il aurait dû se révolter et partir. Il s'est alors soumis.<br />

Il est maintenant en proie au remords. Un cadavre anime sa foi.<br />

JACQUES QUERALT<br />

© Cinémathèque euro-régionale <strong>Institut</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Vigo</strong> <strong>LES</strong> <strong>CAHIERS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> <strong>CINEMATHEQUE</strong> N° 1 janvier 1971<br />

Arsenal espace des cultures populaires – 1 rue <strong>Jean</strong> Vielledent, 66000 PERPIGNAN Tél. 04.68.34.09.39 Fax. 04.68.35.41.20<br />

courriel : contact@inst-jeanvigo.com site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr<br />

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