27.06.2013 Views

LES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUE n°1.pdf - Institut Jean Vigo

LES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUE n°1.pdf - Institut Jean Vigo

LES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUE n°1.pdf - Institut Jean Vigo

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

BUNUEL, ou l'art de planter des clous par Bernard C<strong>LA</strong>USTRES<br />

De même qu'à chaque printemps, la nature, toujours la même et pourtant plus belle à chaque fois,<br />

se renouvelle sans changer…. Mais il suffit : c'est là de la littérature, fi d'elle !.... Peut-on lire encore pareilles<br />

sottises après avoir vu les films de Bunuel, après avoir vu cette même nature hantée de drôles de petits<br />

ciseaux en chapeaux melons et en redingote noire…. Si vous répondez oui, que ce soit alors dans un<br />

murmure. Et si vous regrettez qu'ainsi le mot vous trahisse alors, regardez !<br />

Bunuel, tout "naturellement", reprend les mêmes thèmes très sérieusement, et fait à lui seul<br />

éidétiquement varier toute une société. C'est qu'enfoncer un clou est tout un art, il faut viser juste, frapper<br />

fort et redoubler les coups.<br />

Point de gâtisme ici, point de radotage, qui ne saurait qu'EL est plus que L'AGE D'OR et L'ANGE<br />

EXTERMINATEUR plus encore. Le premier coup résonne étrangement, c'est qu'il est vraiment un Age d'or<br />

dont on s'extrait à peine. C'est là, dans sa pure clarté la vision phantasmée de l'artiste, qui sait garder de<br />

l'enfance les contradictions, les violences et la fascination poétique de l'ambigu et de l'incertain. EL, tout en<br />

étant baroque aussi, est déjà d'une forme plus élaborée dans la façon dont sont situés les personnages et<br />

dans le montage, de telle sorte que ce que l'on peut perdre en émotion esthétique est largement compensé<br />

par l'angoisse qui naît de la confrontation entre le traitement classique et le sujet traité. Bunuel analyse, tout<br />

comme Teshigahara dans sa FEMME DU SABLE en enthomologiste, il porte un regard pervers sur les<br />

choses et les êtres. Quant à L'ANGE EXTERMINATEUR, le titre à lui seul contient le sens de l'œuvre : rien<br />

ne sera laissé au hasard, rien ne sera épargné; la maîtrise est à son comble, l'univers est mis en marge, en<br />

même temps et alors que, tout comme dans les deux premiers films dont nous venons de parler, ce dont<br />

nous parle Bunuel n'est rien sinon sa chair, sinon son sang. Seulement ces films n'ont rien d'une "pillule"<br />

que l'on avale sans même avoir à la croquer – (peut-être d'ailleurs que si les hosties étaient plus dures -) et,<br />

plus même qu'un appel au meurtre entendu dans le sens surréaliste, ils sont un appel, et c'est là le grand<br />

paradoxe de l'œuvre bunuelienne qui fait que nous ne pouvons plus – pour notre part du moins – regarder le<br />

cinéma avec les mêmes yeux qu'autrefois, nous laisser prendre dans les filets des lumières incertaines et<br />

des images fuyantes dont on ne sait jamais si vraiment on les a vues parce qu'elles étaient là réellement ou<br />

si elles étaient là parce que nous les y avions vues, par delà la réalité…. A une redécouverte du réel.<br />

Pour qui ne connaîtrait de Bunuel que L'AGE D'OR force lui serait bien de reconnaître que son<br />

réalisateur est un poète au sens plein du terme. Roger COL<strong>LA</strong>RD disait : "Tout ce qu'on dit de soi est<br />

toujours poésie" et si, cependant, dans bien des cas on peut raccrocher à cette formule un méchant "pas<br />

toujours pourtant pour les autres", cela est absolument impossible pour le Bunuel de L'AGE D'OR. Il est tout<br />

seul en fait sur l'écran, il n'y a que lui, davantage sans doute même, que dans UN CHIEN ANDALOU où la<br />

masturbation dalienne tient une assez grande place, mais cela, non pas parce qu'il veut à tout prix parler "de<br />

lui", mais bien plutôt parler aux autres hommes. Seulement, à notre avis, qui ne connaîtrait de Bunuel que<br />

L'AGE D'OR peut, tout comme nous, (nous le confessons humblement) ne sentir que le plaisir s'insinuer en<br />

lui et s'oublier dans une pamoison toute légitime devant tant de beauté. Le mot FIN a hélas trop de sens.<br />

Qui déjà a vu EL est plus mal à l'aise sur son siège et ne peut sûrement pas se laisser aller à sentir<br />

la fraîcheur et le piquant du vent d'amour que transpire le miroir de cet âge d'or où tout finit par être pur tant<br />

il n'y a plus de mesure, lorsque ce beau paranoïa, qui enveloppe dans la ouate les instruments modernes de<br />

torture, s'apprête à aller coudre sa femme – pour lui prouver sans doute l'ardeur de sa flamme -. Voir plus<br />

que ce que donnent seuls les yeux, telle est la condition du véritable créateur (qui ne le suit avec plaisir<br />

dans cette voie) mais, voir les choses différemment de ce qu'elles sont, ou plutôt différemment de ce qu'on<br />

voudrait qu'elles soient, voilà qui est un chemin plus caillouteux où bien peu s'aventurent. Un pied n'est pas<br />

un sexe, un fétiche n'est pas la nature et nul homme n'est sain s'il n'a d'abord péché.<br />

L'homme n'est pas fait pour vivre au seuil de sa demeure : faire qu'un baiser soit le faîte de l'amour,<br />

c'est là s'intenter un procès qui Jamais ne procèdera. EL est un véritable calvaire d'où volontairement et<br />

discrètement l'artiste se retire pour que l'émotion, celle qui n'est que le premier pas vers l'action, remplace la<br />

jouissance qui est satisfaction et malheureusement par là trop souvent inaction quand elle prend sa source<br />

dans un miroir. La fin alors manque de sens, et comme l'on dit vulgairement : "on sent très bien, même si<br />

l'on ne comprend pas toujours clairement et par concept que quelque chose cloche"; ce qui est déjà la<br />

preuve que l'on "entend" bien.<br />

© Cinémathèque euro-régionale <strong>Institut</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Vigo</strong> <strong>LES</strong> <strong>CAHIERS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> <strong>CINEMATHEQUE</strong> N° 1 janvier 1971<br />

Arsenal espace des cultures populaires – 1 rue <strong>Jean</strong> Vielledent, 66000 PERPIGNAN Tél. 04.68.34.09.39 Fax. 04.68.35.41.20<br />

courriel : contact@inst-jeanvigo.com site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr<br />

65

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!