LES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUE n°1.pdf - Institut Jean Vigo

La Route de SALINA ou le Mythe de JONAS
N O T E S
pour servir à l'histoire future
Avec La Route de Salina, Georges Lautner a quitté le simple cinéma commercial qu'il
traduisit en films généralement drôles comme Les Bons Vivants pour traiter sous forme de parabole biblique
le mythe psychanalytique de Jonas. Suivant un scénario linéaire, il l'a enrichi de panoramiques génésiens et
de longs regards posés sur la mer aux aubes de l'humanité; ainsi prend vie une histoire simple comme un
rayon de soleil.
( I ) "Enclore voilà le grand rêve humain.
Retrouver la fermeture des premiers repos, voilà un désir
qui renaît dès qu'on rêve de tranquillité".
("Terre et rêveries du repos" Bachelard)
Un adolescent venu du désert échoue dans un refuge blanc après une longue route faite de hauts et
de bas dans le cadre désolé des panoramiques de pierres et des contemplations desséchées. Cette maison
n'est autre que la baleine blanche qui dévore le personnage et le fait participer à ses rêves intestins, ceux
des imaginations prisonnières. Dans la chaleur de ce ventre, Jonas trouve le repos momentané et l'amour
impossible. Devenu autre, il va lors de sa quête connaître la beauté parfaite aux sourires pervers,
l'envoûtement de la mer et les fausses évasions. Les corps nus des premiers désirs se réunissent au bord
des ondes dans l'interdit d'une tente plantée face à la mer, que viole parfois une vague curieuse. Une
impression de paix, de chaleur ressort de ces images auxquelles nous pourrions appliquer cette phrase de
Bachelard : "Le complexe de Jonas marque toutes les figures des refuges de ce site primitif de bien être
doux, chaud, jamais attaqué". Mais sous la contemplation vit le monde interdit des fausses solitudes, Rita
Hayworth joue l'engluant personnage de Mara possédée par la peur de la vieillesse isolée. Jamais
auparavant Lautner n'avait si bien regardé, si bien traduit le monde contemplé; les panoramiques
désertiques, ceux d'une mer sans fin, désespérément bleue, se joignent aux gros plans des visages où
chaque regard et chaque sourire sont les masques des pulsions intérieures.
( II ) "Du ventre du Schéol, j'ai crié :
Vous avez entendu ma voix…
Et vous avez fait remonter ma vie de la fosse
Yaveh, mon Dieu !
(Jonas II, 3-7)
Tous les essais de fuite de Jonas sont stoppés par la beauté statufiée qu'incarne admirablement
Mimsy Farmer. Ne pouvant reprendre seul la route de Salina, il refuse le salut temporel que lui propose le
copain parvenu. Son désir de pousser plus loin son inquisition l'emprisonne en fait dans un amour que seule
la mort de son âme sœur achève. Dans un éclat de lumière blanche, le faux Rocky accomplit l'acte
libérateur. C'est avec le même procédé employé par Sautet dans Les Choses de la Vie que Lautner évoque
les scènes de violence et les morts; le vrai Rocky meurt dans le souvenir de Billie sous un grand éclat laiteux
avec la lenteur du souvenir que l'on retrouve. La chute au ralenti traduit l'intensité de l'action contenue dans
le bref délai de la trajectoire d'un caillou jeté sur la nuque de la victime.
© Cinémathèque euro-régionale Institut Jean Vigo LES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUE N° 1 janvier 1971
Arsenal espace des cultures populaires – 1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN Tél. 04.68.34.09.39 Fax. 04.68.35.41.20
courriel : contact@inst-jeanvigo.com site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr
71