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LES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUE n°1.pdf - Institut Jean Vigo

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Position méthodologique : le film ne sera pas l'histoire des tourments sexuels d'un jeune prêtre mais<br />

l'analyse des conditions de la sexualité dans la société patriarcale et puritaine du milieu du XIX ème siècle<br />

décrite par Emile ZO<strong>LA</strong>, et la problématique de sa réalisation. Le cas Mouret doit être considéré comme la<br />

figure symbolique, hyperbolique dirai-je, de tous ceux qui fuient ou que l'on fait fuir devant l'acte sexuel. (On<br />

rétorquera : cette situation n'est plus vraie de nos jours. Si cette situation date socialement n'est-elle pas<br />

encore vécue culturellement dans des formes peut-être plus subtiles et sous des commandements devenus<br />

anonymes mais toujours présents ?<br />

Position idéologique : Priorité à l'amour, nous dit Franju, qui se range ainsi du côté libertaire. Dans<br />

ce premier plan toutes les valeurs d'une certaine société sont bafouées. Un prolétaire (rural) abandonne<br />

"son" travail pour les jeux de l'amour, renverse la hiérarchie sociale pour prendre (économiquement et<br />

sexuellement) la fille du patron et en fait sa femme sans en être l'époux. Trois tabous (travail, hiérarchie et<br />

sexe) sont ici violentés dans une très belle scène qui montre aussi qu'il est possible de faire l'amour ailleurs<br />

que dans une chambre de sécurité sociale et morale. Ce plan est délibérément provocateur : en donnant la<br />

priorité des priorités à l'amour, en libérant l'espace pour le changer en terrain de jeu.<br />

Transgression bien sûr condamnée par le père-patron et le religieux (frère Archangias) flic des<br />

consciences et de l'ordre moral, qui, par un même réflexe de classe, pourchassent le couple par le fouet du<br />

droit et la foudre de la religion.<br />

Pourtant la vie naît là dans cette appropriation de la terre aux amants, contre cette terre charnelle et<br />

maternelle dont la loi a fait une propriété privée (Défense de s'y aimer) et dont toutes les religions (et leurs<br />

transpirations morales) veulent canaliser les palpitations et les émois pour les mieux étouffer dans des<br />

sublimations ordonnées. Rêves ! Mettez-vous "au garde-à-vous ! " La loi passe.<br />

Parce que les Forces néfastes de la Nuit rendent la terre exsangue et tarissent ses seins nourriciers,<br />

Franju les incendie de son lyrisme, les brûle de son athéisme qui est plus qu'un vulgaire anticléricalisme. Il<br />

dérange ainsi plus profondément qu'on ne le croit les plans de tous les commissaires priseurs de nos vertus,<br />

de nos capacités d'être.<br />

Que l'on ne nous dise pas : "Franju, c'est un petit bourgeois qui ne s'intéresse qu'à des "destins<br />

individuels". Car Serge et Albine ne sont que deux cellules d'un tissu social bien défini (les Artaud : un<br />

microcosme social) avec ses patrons, sa police (un homme passe entre deux gendarmes : incidence gratuite<br />

?), son argent (avec quel sadisme et quels appétits destructeurs les héritiers de la vieille morte s'arrachent le<br />

capital familial), avec ses pères fouettards, sa religion sans indulgence (qui satanise l'école. Il faut entendre<br />

frère ARCHANGIAS, serviteur zélé du Christ parler de l'enfer) et ses filles glapissantes de chaleur,<br />

condamnées à fleurir l'intérieur d'une église anti-sexuelle que gardent (au sens militaire) des religieux au<br />

sexe posé sur le visage, tel un crucifix (Il est des gros plans d'ARCHANGIAS plus éclairants que la<br />

psychanalyse).<br />

Serge et Albine ne peuvent être compris que par rapport et dans ce "référentiel" social que la caméra de<br />

Franju nous expose dans sa férocité, sa morbidité et sa mocheté et dont frère Archangias (encore lui) est la<br />

répugnante et révoltante synthèse, somme humaine de Quasimodo et Torquemada.<br />

Mais "la vraie vie est ailleurs" nous dit Franju. Dans ce merveilleux "Paradou" luxueux de beautés<br />

végétales, dans ce "Paradou", paradis terrestre où une Eve sauvagine et de chair promène la blondeur<br />

charnelle de son innocence parmi une campagne non encore dénaturée et dans un site marqué d'une<br />

certaine idée de l'histoire et de l'art, dans ce "Paradou" sur lequel veille un hercule de "Saint-Pierre"<br />

prométhéen qui se saigne lui-même et qui a lu DI<strong>DE</strong>ROT, dans ce "Paradou", aube d'humanité où le Dr<br />

Pascal conduit son neveu déraisonné comme l'on ramène un enfant égaré et malade à sa mère, dans ce<br />

"Paradou", lieu privilégié où le temps s'arrête.<br />

Tout cela dira-t-on était déjà chez Zola. Oui mais recouvert d'une brume panthéiste que ne peut<br />

supporter l'œil matérialiste de Franju. Le mythe d'Adam et Eve est situé dans un contexte pré-chrétien et<br />

revalorisé en tant que modèle d'amour. Il signifie l'opposé du thème de l'homme déchu par le sexe, thème<br />

essentiel de la religion catholique. C'est ici qu'il faut se souvenir du premier plan symbole de l'innocence<br />

érotique avant la récupération et le détournement ecclésiastiques. L'apparentage de l'individu au monde (et<br />

c'est le problème majeur de notre existence) ne saurait être que d'ordre physique et charnel. On voit bien<br />

ainsi, que "le cas" Mouret est autre chose que la tragique histoire d'amour, la passion "dévoyée" d'un prêtre<br />

trop dévoué à la VIERGE.<br />

© Cinémathèque euro-régionale <strong>Institut</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Vigo</strong> <strong>LES</strong> <strong>CAHIERS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> <strong>CINEMATHEQUE</strong> N° 1 janvier 1971<br />

Arsenal espace des cultures populaires – 1 rue <strong>Jean</strong> Vielledent, 66000 PERPIGNAN Tél. 04.68.34.09.39 Fax. 04.68.35.41.20<br />

courriel : contact@inst-jeanvigo.com site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr<br />

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