MANUEL GÉNÉRAL DE L'INSTRUCTION PRIMAIRE - INRP
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208 <strong>MANUEL</strong> <strong>GÉNÉRAL</strong> <strong>DE</strong> <strong>L'INSTRUCTION</strong> <strong>PRIMAIRE</strong><br />
= = LÉGISLATION ET ADMINISTRATION = _<br />
Une Protestation de la Ligue des Instituteurs chargés de famille.<br />
Souvenirs d'une vieille enquête. — Les procédés vei<br />
et arbitraire. — Encore la politique.<br />
En parlant l'autre jour de la faillite de la natalité<br />
française, nous avons eu soin d'en excepter<br />
les instituteurs. Car, de tous les fonctionnaires<br />
publics, ce sont, au contraire, ceux qui<br />
ont le plus d'enfants. C'est ce qu'avait fait ressortir<br />
avec évidence une enquête entreprise, il<br />
y a quelques années, par le Manuel général.<br />
Aussi lira-t-on avec intérêt la lettre que vient<br />
d'adresser au ministre de l'Instruction publique<br />
notre excellent confrère Murgier, président de<br />
la Ligue des instituteurs chargés de famille.<br />
Vous savez que le Parlement a invité l'administration<br />
à accorder à ces instituteurs une<br />
prime annuelle de 40 francs par enfant.<br />
Ce n'est pas le Pactole, assurément, mais<br />
c'est un commencement et un geste est à retenir.<br />
Encore faut-il que cette indemnité annuelle soit<br />
accordée comme le sont toutes les autres, les<br />
indemnités de logement, de résidence ou de<br />
direction, et non pas sollicitée comme une<br />
faveur ou mendiée comme une aumône.<br />
On fait, Dieu merci ! assez paperasser les<br />
membres de l'enseignement public pour être<br />
très rapidement renseigné dans chaque département<br />
sur leur état civil. On n'a pas à demander<br />
ce qui est dû. C'est à l'inspection académique<br />
à dresser chaque année le tableau des instituteurs<br />
et des institutrices qui ont plus de trois<br />
enfants à leur charge et ce ne sont pas les<br />
moyens de contrôle qui lui manquent.<br />
Il paraît aussi, d'après Murgier, que chaque<br />
demande est soumise à une enquête que<br />
n'avait certes pas prévue le législateur. « Certains<br />
chefs de service s'arrogent, nous ditil,<br />
le pouvoir d'écarter la démande de tel instituteur,<br />
parce qu'il aurait quelques ressources<br />
personnelles ou que sa note de mérite ne serait<br />
pas suffisamment élevée, ou encore que ses<br />
opinions politiques seraient trop ou trop peu<br />
avancées. »<br />
Ce sont là des mœurs déplorables et qui<br />
pourraient nous mener loin. De quel droit soupeser<br />
l'escarcelle du fonctionnaire, vérifier sa<br />
caisse, inventorier ses revenus ? Faites-vous au<br />
moins la balance de ses ressources et de ses<br />
charges? Avez-vous mis dans l'autre plateau le<br />
bilan de ses dettes et la liste de ses créanciers?<br />
Ainsi, cette inquisition domestique, qui est précisément<br />
le grief le plus fort contre l'impôt sur<br />
le revenu, vous l'introduisezde votre propre mouvement<br />
dans un domaine où elle n'a que faire.<br />
Car enfin la loi qui ordonne d'accorder deux<br />
louis par enfant aux nombreuses familles n'y a<br />
introduit aucune exception, aucune réserve.<br />
Votre seule tâche consiste à vous assurer que ces<br />
familles ont réellement plus de trois enfants.<br />
Tout aussi arbitraire est J'enquête qui vise<br />
les me'rites professionnels de l'instituteur en<br />
cause. Pour sanctionner ses mérites ou ses<br />
démérites, n'êtes-vous pas suffisamment armés<br />
par les règlements? Vous avez les récompenses<br />
honorifiques et l'échelle des pénalités ; vous<br />
pouvez favoriser ou retarder l'avancement;<br />
atoires. — Donner et retenir ne vaut. — Inquisition<br />
— Le plus loui'4 de tous les impôts.<br />
vous disposez des bons postes, des médailles,<br />
des palmes, que vous faut-il encore? De quel<br />
droit chercher à côté les moyens d'échapper à<br />
l'obligation de venir en aide à l'instituteur<br />
chargé de famille?<br />
Et ce n'est pas tout, au dire de Murgier. II<br />
faudrait encore que l'instituteur montrât patte<br />
blanche... ou rouge selon les temps, selon les<br />
fluctuations de la politique, la couleur du ministère,<br />
le tempérament du préfet ou des<br />
hommes politiques qui tiennent le préfet sous<br />
leur dépendance. Les uns n'obtiennent rien<br />
parce que leurs opinions politiques ne sont pas<br />
assez avancées, les autres parce qu'elles le soDt<br />
trop. Or, que faut-il entendre au juste par une<br />
opinion avancée? On est toujours le réactionnaire<br />
de quelqu'un. Des goûts et des couleurs,<br />
il ne faut pas disputer, dit-on. Tel qui passait<br />
pour un rouge bon teint sous un ministère<br />
Spuller ou Méline, tournera au rose pâle<br />
sous un ministère Combes ou Clemenceau. Qui<br />
donc détient le cordeau d'alignement qui permet<br />
de distinguer ceux qui sont trop avancés<br />
de ceux qui ne le sont pas assez?<br />
J'ai connu un instituteur, excellent républicain<br />
du reste, qui n'a jamais pu obtenir une<br />
bourse pour son fils parce que son frère était<br />
entré dans les ordres. Il ne suffisait pas qu'il<br />
fût lui-même « assez avancé «; il fallait que<br />
tous les membres de sa famille marquassent le<br />
même pas. Et |l'administration avait fait ce raisonnement<br />
intelligent « Puisque cet instituteur<br />
a un frère curé, au lieu d'élever ses enfants<br />
dans un lycée, nous allons l'obliger à<br />
l'envoyer chez lesjésuites. »<br />
N'oublions pas que dans les départements<br />
le préfet est toujours le chef de service de l'enseignement<br />
primaire. S'il peut faire un distinguo<br />
entre les familles nombreuses, l'allocation<br />
votée par le Parlement deviendra une<br />
prime à la servilité. Il ne suffira pas d'avoir<br />
plus de trois enfants pour obtenir les deux<br />
louis, il faudra surtout plaire au préfet et à ses<br />
amis. Nous allons patauger en plein arbitraire.<br />
J'adhère donc très volontiers, pour ma part,<br />
aux réclamations de la Ligue si elles sont reconnues<br />
exactes.<br />
Les intéressés n'ont rien à solliciter. C'est à<br />
l'inspection académique à dresser le tableau<br />
des ayants-droit, sans faire entrer en ligne de<br />
compte des considérations étrangères aux charges<br />
de famille.<br />
Et, pour que cette réclamation ne soit pas<br />
étranglée entre deux portes ou enterrée au fond<br />
dés vieux cartons, nous la recommandons particulièrement<br />
à l'attention de ceux de nos amis<br />
qui font partie de la « Commission de la dépopulation<br />
M. Elever un enfant, dit excellemment<br />
M. Georges Rossignol, c'est payer un impôt<br />
énorme. Il serait misérable de marchander quarante<br />
francs à ceux qui payent librement cet<br />
impôt.<br />
ANDRÉ BALZ.