Le peuple de l'eau.pdf - Au diable vauvert
Le peuple de l'eau.pdf - Au diable vauvert
Le peuple de l'eau.pdf - Au diable vauvert
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
qu’une pierre au bout <strong>de</strong> sa jambe torse. La pompe s’était tue<br />
après avoir vidé la citerne <strong>de</strong> ses trente mètres cubes d’eau.<br />
<strong>Le</strong>s sons prenaient une résonance effrayante dans le silence<br />
funèbre, le chuintement <strong>de</strong>s semelles sur la terre gorgée <strong>de</strong><br />
sang, le grésillement du crachin sur les surfaces métalliques,<br />
les borborygmes du tuyau coincé sous les douves d’un tonneau,<br />
les grognements sourds <strong>de</strong>s molosses affairés à dépecer<br />
les cadavres…<br />
À l’arrière <strong>de</strong> la citerne, il faillit trébucher sur le corps d’une<br />
jeune femme que les chiens avaient entièrement dévêtue et<br />
vidée <strong>de</strong> ses viscères. Ils avaient dédaigné le reste, le visage,<br />
la poitrine, le bassin, les jambes, si bien que, n’était-ce cette<br />
béance odieuse sous son sternum, elle paraissait plongée dans<br />
un sommeil paisible. Quel âge avait-elle? Quinze, seize ans,<br />
peut-être… Il ne la reconnaissait pas, mais elle avait très bien<br />
pu faire partie <strong>de</strong> ces adolescentes dont les corps sveltes et<br />
lisses avaient nourri ses fantasmes durant ces trois <strong>de</strong>rnières<br />
années.<br />
Il lança un regard haineux aux <strong>de</strong>ux chiens qui, plus loin,<br />
arc-boutés sur les pattes postérieures, rongeaient les bras d’un<br />
Sheuln dont la face n’était plus qu’une bouillie <strong>de</strong> chair et <strong>de</strong><br />
sang. La vitesse avec laquelle les fauves avaient conquis le campement,<br />
leur efficacité stratégique résultaient sans aucun<br />
doute d’une mutation. Si ces comportements nouveaux,<br />
adaptés, s’étendaient à l’ensemble <strong>de</strong>s hor<strong>de</strong>s – et les exemples<br />
abondaient <strong>de</strong> ces acquis spontanément partagés à <strong>de</strong>s centaines<br />
<strong>de</strong> kilomètres <strong>de</strong> distance –, le <strong>peuple</strong> aquariote n’aurait<br />
plus jamais <strong>de</strong> tranquillité. Il lui faudrait dresser <strong>de</strong>s palissa<strong>de</strong>s<br />
autour <strong>de</strong>s campements, une obligation qui réduirait sa mobilité<br />
et l’entraverait dans ses rhab<strong>de</strong>s. Or, les réserves d’eau<br />
potable étaient disséminées sur un territoire qui s’étendait <strong>de</strong>s<br />
côtes atlantiques aux plaines <strong>de</strong> l’Oural, <strong>de</strong>s pays du Nord<br />
jusqu’aux pointes d’Espagne, <strong>de</strong> Grèce et d’Italie. Lorsqu’ils<br />
avaient trouvé <strong>de</strong> l’eau, les sourciers éprouvaient le besoin vital<br />
<strong>de</strong> changer <strong>de</strong> région, <strong>de</strong> « suivre la baguette », selon leur<br />
51