Alfredo Jaar "Paysage" - Académie de Toulouse : Mission TICE
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fait notamment appel à <strong>de</strong>s photographies cibachromes éclairées par l’arrière à<br />
l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> tubes fluorescents, à la façon <strong>de</strong> panneaux publicitaires ou, plus<br />
précisément, <strong>de</strong> panneaux <strong>de</strong> signalisation non plus <strong>de</strong>stinés à réguler le flux <strong>de</strong><br />
nos déplacements, mais plutôt à endiguer les flots <strong>de</strong> nos manquements...<br />
De fait, si Paysage ne recourt pas aux techniques classiques <strong>de</strong> la<br />
photographie (1), c’est par double souci d’efficience, <strong>de</strong> mise en lumière "<strong>de</strong> l’oeil<br />
et l’esprit", l’un n’allant pas sans l’autre comme nous l’a montré Merleau-Ponty.<br />
Mais, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra-t-on, que présentent donc ces photographies pour <strong>de</strong>voir être<br />
ainsi éclairées (cf. Témoigner) ? De simples visages anonymes, aux regards<br />
effrayés plus encore effrayants - <strong>de</strong> ceux qu’on n’oublie pas.<br />
Prises le 28 août 1994 au Rwanda par <strong>Alfredo</strong> <strong>Jaar</strong> lui-même, les photographies<br />
<strong>de</strong> Paysage évoquent trop d’absents, trop <strong>de</strong> victimes : victimes du génoci<strong>de</strong> - un<br />
million <strong>de</strong> Rwandais - victimes <strong>de</strong> l’exo<strong>de</strong> - <strong>de</strong>ux millions <strong>de</strong> réfugiés en route vers<br />
le Zaïre, le Burundi, la Tanzanie et l’Ouganda, en route vers <strong>de</strong>s camps que la<br />
plupart n’atteindront pas. Victimes d’ "Atrocités", comme disent les médias et<br />
victimes encore <strong>de</strong> notre oubli, non moins atroce - tuées <strong>de</strong>ux fois en somme -<br />
Paysage remémore non seulement ces oubliées mais nous confronte tout autant<br />
à notre inclination à l’oubli et à ses conséquences accablantes. Pour le mettre en<br />
lumière, <strong>de</strong> simples photographies, même éclairées, n’auraient peut-être pas suffi<br />
; fixés au mur, dix-neuf miroirs parallèles renforcent le dispositif.<br />
Dispositif d’urgence : <strong>de</strong>s miroirs allongés comme les espaces entre <strong>de</strong>s<br />
barreaux, encadrés <strong>de</strong> noir tels certains faire-part <strong>de</strong> décès... Dans cette mise en<br />
scène impressionnante se donne surtout à voir un jeu <strong>de</strong> reflets : reflets <strong>de</strong>s<br />
visages photographiés, reflets <strong>de</strong> la Cour d’assise, reflets du spectateur luimême,<br />
autant <strong>de</strong> rappels <strong>de</strong> la difficulté d’accé<strong>de</strong>r à la réalité <strong>de</strong> l’autre, autant<br />
<strong>de</strong> moyens d’impliquer le spectateur, mais aussi <strong>de</strong> questionner une société<br />
contemporaine comme ses institutions. Mais n’est-ce pas, au fond, le parcours <strong>de</strong><br />
notre regard non moins que celui <strong>de</strong> notre réflexion que les survivants suivent<br />
<strong>de</strong>s yeux - <strong>de</strong>s yeux d’une effroyable intensité ? C’est ainsi que Paysage a prise<br />
sur la conscience et que la vision <strong>de</strong> ce qui est en jeu <strong>de</strong>vient possible. Ce qui est<br />
en jeu, les reflets du lieu le disent bien, ne se limite pas au passé, mais touche à<br />
l’avenir, plus encore au présent. Comment comprendre autrement l’installation <strong>de</strong><br />
Paysage à la Cour d’assise <strong>de</strong> Haute-Garonne - dans la petite Salle <strong>de</strong>s Pas<br />
Perdus qui en constitue le vestibule ?<br />
Au visiteur désorienté par une telle œuvre, peu habitué à <strong>de</strong> telles démarches<br />
artistiques, il n’est peut-être pas inutile <strong>de</strong> rappeler à nouveau qu’<strong>Alfredo</strong> <strong>Jaar</strong> fut<br />
témoin direct <strong>de</strong>s horreurs du Rwanda dont il ramena trois mille photographies.<br />
Reconnaître à Paysage le droit et le pouvoir d’évoquer les souffrances humaines,<br />
c’est réaliser que l’œuvre en provient et qu’<strong>Alfredo</strong> <strong>Jaar</strong> sait - d’un savoir direct<br />
fondé sur "un voir" - <strong>de</strong> quoi il parle. On contemple volontiers le paysage,<br />
Paysage ne se contemple pas, mais réclame d’être médité.<br />
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