Alfredo Jaar "Paysage" - Académie de Toulouse : Mission TICE
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passa la porte avant moi. Elle aussi avait dû être attirée par le chant. La vache<br />
entra dans la pièce et je la suivis. A l’intérieur, tout l’espace était occupé par les<br />
morts. Mais ici il n’y avait pas <strong>de</strong> mort dans l’air. Il y avait <strong>de</strong> la prière. Les prières<br />
puaient plus que la mort. Mais tous les morts qui étaient ici ne l’étaient pas <strong>de</strong> la<br />
même façon que les cadavres à l’extérieur. Les morts dans l’école étaient -<br />
pardon pour le paradoxe - vivants. Je n’ai pas d’autre mot pour expliquer cette<br />
sérénité. Je sentais qu’ils avaient sanctifié ce lieu parce que, au <strong>de</strong>rnier moment,<br />
ils n’avaient pas pensé à eux-mêmes, mais à tous ceux qui souffrent. J’ai senti<br />
que c’était vrai parce que je me suis aperçu que je faisais la même chose. Je suis<br />
allé dans un coin en rampant, je me suis adossé au mur et je me suis aperçu que<br />
je priais pour l’espèce humaine toute entière. Je priai en sachant très bien que la<br />
prière est peut-être une pure perte <strong>de</strong> temps, mais je priai pour tout ce qui vit,<br />
les montagnes et les arbres, les animaux et les cours d’eau, et pour les êtres<br />
humains, où qu’ils soient. J’entendais le grand cri d’angoisse <strong>de</strong> tous les<br />
hommes, sa puissante musique qui vous hante.<br />
Et moi aussi, sans remuer les lèvres car j’étais sans force, je commençai à<br />
chanter en silence. Je chantai tout le soir durant. Et quand je regardai le corps à<br />
côté <strong>de</strong> moi et découvris que la lumière inconnue <strong>de</strong> son visage était celle <strong>de</strong><br />
mon amour, je chantai tout le temps que je pris à le reconnaître. J’ai chanté<br />
silencieusement même quand un homme blanc au cœur compatissant est entré<br />
dans l’école avec une caméra <strong>de</strong> télévision et en pleurant a enregistré pour la<br />
montrer au mon<strong>de</strong>, l’image <strong>de</strong> la pièce pleine <strong>de</strong> morts - J’espérai qu’il<br />
enregistrait aussi mon chant...<br />
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