Alfredo Jaar "Paysage" - Académie de Toulouse : Mission TICE

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apparaissaient alternativement : "This is not America", entouré d’une carte des Etats-Unis et "America" dont une des lettres reprenait la forme des continents. Cette œuvre fait état de la préoccupation persistante de l’artiste pour l’information, de son élaboration à sa diffusion, de son intérêt tout particulier pour son incidence sur celui qu’on appelle parfois, dans certains milieux : "le récepteur". De même, se plaçant délibérément sur le terrain du "photojournalisme", il oppose à son habituelle débauche d’images spectaculaires, des photographies qui guident la compréhension. Mais il sait aussi utiliser des matériaux simplement courants comme le miroir - de nature à révéler le narcissisme et l’auto-satisfaction si fréquents chez l’occidental - mais de nature surtout à permettre d’habiles confrontations du spectateur à des dispositifs qui l’impliquent nécessairement. Les vis-à-vis obtenus dissolvent en effet, les distances temporelles et spatiales, si confortables, si habituelles. Des distances que l’artiste n’hésite pas à parcourir ; le déplacement constituant un aspect majeur de sa pratique. Aller sur place, devenir soi-même un témoin, s’impliquer, sont des actes qui s’imposent à lui, l’amenant dans la mine d’or de Serra Pelada (2) à voir vraiment des milliers d’individus tenter de survivre dans ce gouffre ouvert. A Koko, au Nigeria, ce sont les énormes décharges d’ordures toxiques en provenance d’Occident. Au Rwanda, il s’arrête, longuement... A chacun de ses voyages, il revient avec un nombre incroyable de photographies ; chacune devant être accompagnée d’un minimum d’informations : "ou, quoi, qui". De ce fragile "qui" sont recueillis, si possible, le nom, l’âge et l’histoire. Ainsi, parfois, un individu en arrive à exister et à faire valoir à travers lui l’existence de tout un groupe, comme l’homme de Walking on water (1992) traversant le Rio Grande, comme la petite Nguyen, comme Gutete Emerita... Non moins respecteux du spectateur, toujours considéré comme un individu doué de conscience, il nous permet de devenir des participants, invités à agir et à réfléchir - auprès et non plus seulement face à des œuvres. Au travers des jeux de caches, de miroirs, de transparences, de pistes, nous est renvoyée une image complexe du monde, une image peu convenue et toute en fragments, où les frontières se voient - littéralement - remises en question. C’est ainsi que le caractère évolutif des œuvres d’Alfredo Jaar apparaît ; caractère qui leur permet de nouvelles adaptations à des contextes nouveaux, l’artiste guettant ce qui dans l’actualité est le plus à même de prévenir nos léthargies. Lieu, territoire, pays où prennent place ces expositions sont donc capitaux. Proche en cela de nombreuses démarches contemporaines, Jaar pense toujours son œuvre en relation avec l’espace environnant, qui devient partie intégrante du travail. Modifier le lieu, jouer de l’architecture, créer un parcours, une atmosphère, sont quelques-unes des modalités explorées. Pour Rushes (1986), la nature du lieu - le métro, lieu de passage - est judicieusement mise à profit, dans le sens d’un emploi quasi-cinématographique de raccourcis propres à capter la brève attention du spectateur. Bien sûr, la fonction même du lieu 28
(galerie, faculté, institution, restaurant, ...) n’est pas non plus oubliée. (3) Elle influe sur le thème lui-même et permet par ailleurs d’orienter la compréhension du spectateur. ci-contre : Alfredo Jaar, "Un million de passeports finlandais", 1995, musée d'art contemporain de Helsinki Autre élément contextuel pris en compte : les choix politiques de tel ou tel pays, qui peuvent aller jusqu’à motiver le choix d’un sujet. Pour son exposition en Finlande (1992), il réalisa One million finnish passports , un rappel de l’inhospitalité aigüe de ce pays envers les immigrés. En ce sens, le choix d’exposer Paysage (1989) dans un lieu de jugement : à la Cour d’Appel de Toulouse - alors que l’œuvre présente des photographies prises juste après le génocide au Rwanda - n’a rien d’innocent mais invite à l’une des plus effectives citoyennetés qui consisterait à prendre conscience de ses propres responsabilités à l’égard de son pays comme à l’égard des autres pays du monde, autrement dit aussi à prendre les moyens et la résolution d’être indéfiniment vigilants. ci-contre : Alfredo Jaar, "Un million de passeports finlandais", 1995, musée d'art contemporain de Helsinki (1) Cf., le projet La géographie ça sert d’abord à faire la guerre, 1989 et Geography = war, 1991 (2) (2) Au nord-est de l’Amazonie. (3) (3) Cf., Je me souviens, 1992. 29
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