14.07.2013 Views

JOURNAL DES INSTITUTEURS - INRP

JOURNAL DES INSTITUTEURS - INRP

JOURNAL DES INSTITUTEURS - INRP

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

; -<br />

AUTEURS FRANÇAIS DU BREVET SUPÉRIEUR<br />

VOLTAIItE ET YAUVBNABGUBS.<br />

Après J.-J. Rousseau, le plus justement célèbre<br />

des écrivains avec lesquels Voltaire eut occasion<br />

do correspondre, est, sans contredit, Vauvenargues.<br />

Luc de Clapiers, fils aîné du marquis de Vauvenargues,<br />

naquit A Aix en 1715. Après des études<br />

sommaires que sa mauvaise santé le força souvent<br />

d'interrompre, il embrassa la carrière des armes<br />

où il rêvait de brillantes destinées. Il fît partie de<br />

cette armée que, dès le début de la guerre de la<br />

succession d'Autriche (1741), le cardinal Fleury<br />

envoya en Bohême s'emparer de Prague pour le<br />

compte de l'électeur de Bavière. On se rappelle<br />

que cette armée, laissée sans secours, se vit assiégée<br />

dans sa conquête et fut contrainte de capituler<br />

après une honorable résistance. Vauvenargues eut<br />

beaucoup a souifrir pendant la pénible retraite qui<br />

suivi', et sa santé délabrée le força de renoncer<br />

au service. 11 sollicita un poste dans la diplomatie,<br />

et se croyait, après une longue attente, au moment<br />

de l'obtenir, lorsque la petite vérole l'atteignit et<br />

le laissa presque aveugle, en même temps qu'éclataient<br />

les premiers sympiô nés de la maladie de<br />

poitrine qui devait le conduire au tombeau après<br />

quelques années de souffrances (1747), Il s'éteignit<br />

donc à peine âgé de 32 ans, sans avoir vu briller<br />

sur son front les premiers rayons de celte gloire<br />

qu'il avait tant aimée et toujours poursuivie inutilement.<br />

Peu d'hommes ont été plus malheureux ;<br />

peu d'hommes ont ont supporté l'indifférence avec<br />

autant de constance et de sérénité. « Je l'ai tou-<br />

« jours vu, dit Voltaire, le pins infortuné des<br />

« hommes et le plus tranquille. » Lui-même s'est<br />

peint d'après nature dans ce portrait de la vertu<br />

malheureuse où écate toute la beauté de son âme :<br />

« Clazomène a eu l'expérience de toutes les rai-<br />

« sères de l'humanité. Les maladies l'ont assiégé,<br />

< dès son enfance, et l'ont sevré, dans son prince<br />

temps, de tous les plaisirs de la jeunesse. . . .<br />

« Ses talents, son travail continuel, son application<br />

< à bien faire n'ont pu fléchir la dureté de sa<br />

« fortune Lorsque celle-ci a paru se<br />

« lasser de le poursuivre, la mort s'est offerte à<br />

« sa vue ; ses yeux se sont fermés à la fleur de son<br />

• âge ; et quand l'espérance trop lente commençait<br />

c à flat'er sa peine, il a eu la douleur iusupport<br />

table de ne pas laisser assez de bien pour payer<br />

« ses délits et n'a pu sauver sa vertu de cette<br />

« tache. Si l'on cherche quelque raison d'une des-<br />

« linée si cruelle, on aura, je crois, de la peine à<br />

« en trouver. Fant-il demander la raison pourquoi<br />

« l'on voit des années qui n'ont ni printemps ni<br />

« automne, où les fruits de l'année sèchent dans<br />

« leur fleur? Toutefois, qn'on ne psnse pas que<br />

< Clazomène eût voulu changer sa misère pour la<br />

« prospérité dej homme» faibles. La fortune peut<br />

f se jouer de la sagesse des gens vertueux, mais<br />

« il ne lui appartient pas de faire fléchir leur<br />

« courage. » Nulle amertume, ainsi qu'on le voit,<br />

dans ces plaintes; point de récriminations violentes<br />

contre l'aveuglement des hommes ou l'injustice<br />

du sort; une résignation calme et courageuse<br />

; un stoïcisme tranquille, sans forfanterie,<br />

<strong>JOURNAL</strong> DBS <strong>INSTITUTEURS</strong> 815<br />

aussi élevé par la pensée que simple par l'expression.<br />

Vauvenargues aimait les lettres et les cultiva dès<br />

sa première jeunesse, même sous la tente du soldai;<br />

il s'y livra tout entier, lorsque la maladie<br />

l'eut condamné à l'inaction. Esprit méditatif, il<br />

observait les autres hommes et surtout s'observait<br />

lui-même, estimant que le plus noble objet que<br />

paisse se proposer la pensée philosophique est de<br />

montrer à l'homme ce qu'il est. afin de lui apprendre<br />

à s'estimer ce qu il vaut. Ainsi fut conçu et<br />

écrit son premier ouvrage, Y Introduction a la<br />

connaissance de l'esprit humain, suivi plus lard de<br />

ses Conseils à un jeune homme, de ses Caractères,<br />

et enfin de ses lléflexions et maximes. Il entrait<br />

donc avec une hardiesse naïve, fort de sa sincérité<br />

et de sa droiture, dans la carrière où l'avaient précédé<br />

Pascal, La Rochefoucauld, La Bruyère. Plein<br />

de respect pour ces grands modèles, il n'hésite pas<br />

cependant à les contredire, parce qu'il lui semble<br />

qu'ils ont trop rabaissé la nature humaine.<br />

La Rochefoucauld humilie l'homme, en niant la<br />

vertu dé intéressée; Pascal l'afflige et l'effraye par<br />

le tableau de ses misères; La Bruyère l'amuse de<br />

ses propres travers; Vauvenargues le console et<br />

lui rend l'estime de lui-môme ; il lui apprend surtout<br />

à chercher, dans son cœur, les nobles aspirations<br />

qui le dirigent naturellement vers le bien. Le<br />

sentiment lui paraît un auxiliaire indispensable de<br />

la raison et un guide souvent plus sûr que la raison<br />

elle-même. C'est lui qui a écrit cette belle)<br />

maxime si souvent citée : les grandes pensées<br />

viennent du cœur. »<br />

Combien d'autres réflexions ingénieuses ou profondes<br />

on pourrait recueillir en feuilletant ses<br />

ouvrages 1 Donnons-en ici quelques exemples :<br />

« L'uiilité de la vertu est si manifeste que les méchants<br />

la cultivent par intérêt. » « On ne peut être<br />

« dupe de la vertu; ceux qui l'aiment sincèrement<br />

« y goûtent un secret plaisir et souffrent à s'en dé-<br />

« tourner. Quoi qu'on fasse aussi pour la gloire,<br />

i jamais ce travail n'est pnrdu s'il tend à nous en<br />

« rendre dignes. » « La servitnde avilit l'hommec<br />

an point de s'en faire aimer. » « La magnanit<br />

mité ne doit pis compte à la prudence de ses<br />

« ÏT;O ifs. » « Les conseils des vieillards sont comme<br />

« le soleil d'hiver : ils éclairent sans échauffer. »<br />

« Si vous avez quelque passion qui élève vos sen-<br />

« timents, qui vous rende plus généreux, plus-<br />

« compatissant, plus humain, qu'elle vous soit<br />

c chère. »<br />

Qui ferait difficulté de s'associer aux éloges de<br />

Vob aire écrivant à l'anteur : « La plupart de vos<br />

t pensées me paraissent dignes de votre âme et<br />

a du petit nombre d'hommes de goût et de génie<br />

« qui restent encore dans Paris et qui montent de<br />

« vous lire » (22 mai 1746). Cependant quand il<br />

s'agira d'apprécier les jugements que Vauvenargues<br />

a portes sur quelques-uns de nos grands.<br />

écrivains, nous verrons Voltaire faire ses réserves,<br />

et là encore nous rendions hommage à la sûreté;<br />

de son goût comme à sa passion pour la vérité.<br />

{A suivre.) P. W.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!