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(1992) n°3 - Royal Academy for Overseas Sciences

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la doctrine du «dominer pour servir» qui donnait un sens à m on engagement colonial,<br />

la rudesse et la familiarité patriarcales avec lesquelles la plupart des Européens traitaient<br />

les indigènes, la description à la fois som maire et cocasse que nous faisaient ces mêmes<br />

Européens des défauts des Noirs, leur avertissement que nous aurions à expier notre<br />

double faute de «Belgicains» et de jeunes universitaires, en apprenant longuement et<br />

patiemm ent à connaître les vraies réalités africaines. Somme toute, j ’eus à ce moment<br />

l’impression peu agréable que les Belges ici dom inaient plus qu’ils ne servaient et que<br />

nous étions priés, nous les jeunes, de nous y mettre sans faire de façons. Quelques<br />

semaines plus tard, cette première impression fit place à la perplexité lorsque je vis<br />

ces mêmes Européens nous accueillir chez eux avec une grande cordialité, travailler<br />

dur, se dépenser sans le dire et sans même paraître y penser pour les Congolais et<br />

leurs familles, leurs clubs de football, leurs foyers sociaux, etc., citer et mimer avec<br />

sympathie les dons d ’observation et d ’hum our des indigènes, avec émotion leurs qualités<br />

de cœ ur et leur attachement, avec fierté leur habileté dans le travail. Ces vieux coloniaux,<br />

un peu choquants dans leurs idées, leur langage et leurs attitudes, étaient donc<br />

aussi, pour la plupart, bons, généreux et dévoués. Comme ils le répétaient si souvent,<br />

ils considéraient les Noirs, et cela me paraissait essentiel, non pas comme des êtres<br />

inférieurs mais comme de grands enfants. Quelques mois plus tard, ayant eu la possibilité<br />

de m ’initier à la psychologie des Noirs qui m ’entouraient et spécialement des<br />

évolués, je trouvai ces derniers à la fois courtois et appliqués dans les tâches qu’on<br />

leur confiait, mais guindés, un peu crispés, mal à l’aise dans leur condition, aspirant<br />

manifestement mais vaguement à autre chose. À ce mom ent, m on désarroi s’atténua :<br />

je commençai à oser me dire à moi-même que nos devanciers avaient fait, avec leur<br />

tem péram ent qui était vigoureux et riche, un magnifique travail de pionniers mais<br />

qu’il fallait désormais agir avec les Noirs au moins comme avec de grands adolescents.<br />

Muté à Luluabourg lors du déménagement du chef-lieu de la province, je continuai<br />

à réfléchir à ces questions, mais sans cadre conceptuel précis : nous devions évoluer,<br />

mais comment le faire sans maladresse ? Je profitai d ’un bref séjour à Élisabethville<br />

pour dem ander à être reçu par F. Grévisse. Malgré ses lourdes charges, celui-ci me<br />

reçut avec une grande gentillesse. Il me confirma que l’heure était venue d ’intensifier<br />

la <strong>for</strong>m ation des évolués ; pour ne pas les couper de la masse, il insista sur la nécessité<br />

de ren<strong>for</strong>cer surtout leur sens des responsabilités sociales. J ’entrepris alors de faire<br />

aux évolués de Luluabourg, dans les locaux de la Mission, et sous l’œil sympathique<br />

mais vigilant du Territoire et du Service de l’enseignement, des causeries sur l’histoire<br />

des institutions, en comm ençant par l’Antiquité. Ces causeries furent suivies par un<br />

public très attentif, mais dont le sérieux, dû à l’extrême concentration des auditeurs,<br />

me paraissait excessif. Ce n ’est que pendant les longues discussions qui suivaient que<br />

certains paraissaient plus détendus. C ’était en 1951. Je sais que de nom breux autres<br />

jeunes, agents de l’État ou magistrats, firent dans ces années des expériences très<br />

semblables et cherchèrent empiriquement comme moi une manière de bien évoluer,<br />

tandis que d ’autres, il est vrai, se coulèrent dans le moule ancien.<br />

En résumé, si les masses restaient spontanées et rieuses, les évolués que j ’ai connus<br />

au Kasai étaient soucieux au début des années 50. Beaucoup de jeunes coloniaux<br />

percevaient qu’il fallait s’adapter mais cherchaient leur voie. Les anciens, qui étaient<br />

avant tout des êtres instinctifs et chaleureux, étaient conscients des changements de<br />

mentalité qui s’opéraient lentement autour d ’eux ; la plupart se méfiaient de ces changements,<br />

qui leur paraissaient annonciateurs de mauvais jours pour les Noirs comme

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