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PALABRES ARTS & CULTURE consciemment, dans une tradition spéculative centrée sur la musique, et ceci à partir de l’héritage antique de l’orphisme néopythagoricien. 18 Platon a également démontré le lien indéfectible qui unit poésie et musique et ce, en mettant en lumière leur fonction à la fois psychologique et sociale, d’une part éducative et d’autre part récréative. En cela on retrouve bien des similitudes entre la pratique de la poésie et de la musique en Grèce antique et en Afrique noire. Toutes deux seraient au service du défoulement des passions, de la catharsis, dans la mesure où elles détourneraient les hommes de leur quotidien, leur permettant de reprendre le contrôle de leurs émotions 19 . Mais Platon va audelà de cette idée cathartique d’Aristote en affirmant que la musique structure l’individu, dans la mesure où le rythme et l’harmonie de la musique et de la danse confèrent progressivement à l’enfant sa motricité, tout en lui apportant du plaisir ; la musique et la poésie contribuent également à développer le langage de l’enfant en donnant forme à ses premiers balbutiements. En cela, Platon a mis en avant de manière évidente la nécessité de la poésie (et de son caractère hétérogène qui unit littérature et musique) pour la vie humaine. La Parole, point de départ de la littérature Ce phénomène, cette unité fondamentale de la littérature (ou poésie) et de la musique est la même en Afrique noire. La parole se doit d’être accompagnée de musique et rythmée par le geste (autrement dit la danse) si elle veut atteindre sa plénitude. Selon Belinga, la parole caractérise l’expression intérieure et extérieure de la pensée 20 , la musique exprime la beauté, et la danse, elle, est soumise aux battements des instruments de musique et au rythme intérieur inhérent au verbe 21 et permet la communication avec les puissances supérieures. Engendrée par le verbe, la parole s’affirme de manière différente selon les périodes de la vie. Chez l’adulte, elle s’énonce soit sous forme de maxime, soit sous forme de dicton ou de proverbe. Et l’orateur, pour exprimer une pensée plus nuancée, pour donner à sa parole plus de force et plus de vie […] se sert bien volontiers d’un mythe, d’une fable ou d’un conte. 22 Ainsi, comme le dit Belinga, le mode d’existence de la parole est la littérature 23 qui, comme nous le verrons, a recours systématiquement à la pratique de la musique et à ses attributs qui sont 18 - I. Piette, Op. Cit. p. 6. 19 - J. Bessiere, E. Kushner, R. Mortier, Weisgerber, Histoire des poétiques, Paris,PUF,1997. 20 - E. Belinga, Op. Cit. 21 - Ibid. 22 - Ibid. 23 - Ibid. N° 18 Janvier 2006 L’Arbre à Palabres 55
PALABRES CULTURE & ARTS 24 - Ibid. 25 - Ibid. 26 - E. Belinga, Op. Cit. respectivement le chant et la danse. Du rythme et de la danse La parole, pour pouvoir s’exprimer pleinement, doit avoir recours à la pratique de la musique, donc du rythme qui, selon Belinga, est le second attribut du verbe et ordre et proportion dans l’espace et dans le temps. 24 Voyons brièvement les traits caractéristiques du rythme africain : la musique africaine se caractérise, comme le dit Belinga, par le retour périodique de la même cellule rythmique. 25 Sachant qu’il y a, la plupart du temps, superposition de différentes cellules, on constate un effet de polyrythmie qui confère au morceau richesse et variété. Et cette répétition musicale s’élabore parallèlement à celle du récit et de sa narration. La parole a également recours à la pratique du geste, de la danse. L’acte peut, dans certaines situations remplacer la parole. Le griot, qui a un rôle de média, procède à un usage pertinent du geste qui confère à sa performance encore plus de sens. Lors du récit d’une épopée par exemple, la danse permet de faire avancer le monologue du griot. Elle est la « parure » de sa parole et renforce son éloquence. Ainsi, comme le dit justement Eno Belinga : Littérature et musique s’écoulent dans le temps et la danse, qui est le geste par excellence, se développe, comme le rythme, à la fois dans l’espace et dans le temps. 26 La danse exprime la vie, elle est pulsion vitale et intervient dans des circonstances précises de la vie populaire (fêtes agricoles, naissance, mariage, funérailles...). Il y a aussi des danses plus symboliques telles les danses de pêcheurs, chasseurs, de guerriers ou encore de rites initiatiques. La phrase d’un chef de village gabonais que nous rapporte Belinga dans son introduction est en cela très révélatrice : Un village tranquille est un village mort. On comprend donc par là qu’on ne peut concevoir vie collective en Afrique sans ces différentes manifestations du rythme et du geste qui caractérisent la société traditionnelle. La danse matérialise la parole énoncée et réalise ses intentions et souhaits. Musique et chants La musique, troisième attribut du verbe, est aussi liée au chant qui a un rôle de coordinateur et 56 L’Arbre à Palabres N° 18 Janvier 2006
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