De la représentation et de l'usage de la musique - Association des ...

PALABRES
CULTURE & ARTS
62 - G. Lebaud-Kane, « Les
didascalies instrumentales des
poèmes de Senghor », in :
Afrique, musiques et écritures,
Op. Cit.
63 - Ibid.
64 - Ibid.
de solitude. Ce qu’on pourrait
considérer être un paradoxe n’en
est pas vraiment un. En effet, même
si Senghor écrit ses poèmes en
français, il va puiser leur essence
dans les abîmes de l’Afrique ancestrale.
À travers sa double culture,
il réinvente une poésie originelle
mythique et parvient à dépasser
l’opposition et les nombreux
clivages entre la culture africaine
(et sa littérature de tradition
orale) et la culture occidentale (et
sa littérature de tradition écrite).
On comprend donc la nécessité
des didascalies musicales qui permettent
de combiner les deux cultures
et de les enrichir mutuellement.
Cette conception d’art total
puise ses racines profondes dans une
mythologie personnelle qui s’appuie
sur la mythologie africaine 62 . Sa
conception de l’univers est profondément
musicale même s’il
n’est pas lui-même musicien. Son
ambition est de recréer un monde
polyphonique et harmonieux où
tous les éléments chantent et dansent
chacun leur partition, leur couleur,
tout en accordant leur voix et leur
tempo aux autres voix. 63
Voyons maintenant un bref
aperçu de sa palette sonore. Les
instruments d’origine africaine
sont les plus nombreux. Ceux
qui sont en tête sont la kôra et
le balafon ; le tam-tam (instrument
emblématique de la
musique africaine) est juste derrière.
Dans l’ensemble de son
œuvre, c’est la kôra qui est le
plus souvent convoquée et cela
n’a rien d’étonnant dans la
mesure où elle est l’instrument
de prédilection des griots, celui
qui accompagne leurs chants,
qui les inspire. Son registre est
très varié et sa discrétion permet
de mettre en valeur avec plus de
force la voix humaine. Vient
ensuite le khalam, sorte de guitare
tétracorde. Loin derrière, les
instruments ou orchestres d’origine
occidentale tels que l’orgue,
l’orchestre de jazz, la trompe,
puis la trompette, la clarinette, le
rîti, sorte de viole monocorde, l’orchestre
maghrébin, l’orchestre
symphonique, le chœur polyphonique.
Senghor est un métis culturel.
Cette brève classification en
atteste. Et comme le dit G.
Lebaud-Kane, L’évocation des
instruments de musique sert de
support à la mémoire du poète. 64
Il est toutefois intéressant de
constater que les instruments indiqués
dans la didascalie ne correspondent
pas forcément à ceux
qu’évoque le texte. On peut penser
que le poète a voulu éviter par
là un effet de redondance. Même
si l’instrument de la didascalie
n’est pas présent dans le texte, il
70 L’Arbre à Palabres N° 18 Janvier 2006