De la représentation et de l'usage de la musique - Association des ...

PALABRES
CULTURE & ARTS
6 - L. S. Senghor, Liberté I,
Paris, Le Seuil, 1964, p. 238.
7 - Ibid.
8 - G. Genette, Nouveau
Discours dit récit, Paris, Le
Seuil, 1983, p. 34.
pas sans poser de problème, d’autant
plus que les seuls à pouvoir en
profiter sont les lettrés qui sont
loin de former une majorité d’individus.
De plus, l’écriture, malgré
le talent et la verve de bon nombre
d’auteurs, ne parvient pas à véhiculer
et transmettre l’esthétique et
la sémantique de la parole dans
son ensemble. Elle fige la réalité et
lui ôte tout caractère vivant. Ainsi,
comme le dit L. S. Senghor dans
son essai Liberté I : L’écriture appauvrit
le réel. Elle cristallise en catégories
rigides ; elle le fixe quand le
propre du réel est d’être vivant, fluide
et sans contours. 6
D’ailleurs, l’auteur du Mvett est
tout à fait conscient de cet appauvrissement
du fait de l’écriture et
s’en excuse platement dans son introduction
très instructive et perspicace
où il exprime quelque culpabilité
et regret : L’auteur viole la
tradition et trahit ses maîtres en
confiant le mvett à la plume. Aussi
l’œuvre est-elle fade, imparfaite, car
rien au monde ne peut remplacer le
cadre du village, l’atmosphère du
corps de garde, le rythme des grelots
et des baguettes, la mélodie du
mvett, les trépidations des plumes
d’oiseaux et des peaux de bêtes sur la
tête et les bras du joueur. En conséquence
l’auteur sollicite l’indulgence
du lecteur qui appréciera à leur
juste mesure les difficultés survenues
au moment où, privé de son instrument
et du milieu dans lequel il a
coutume d’évoluer, il s’est vu obligé
de rompre avec la tradition orale
pour céder la place à l’écriture. 7
On peut aussi penser à G.
Genette qui dit que le passage de
l’oral à l’écrit neutralise presque immédiatement
les particularités de
l’élocution. 8
La musique, en tant que
maillon fort de la culture orale
africaine, en passant de l’oral à
l’écrit, s’est transmuée sous une
forme moderne différente, a priori
en inadéquation avec le support
écrit. Elle n’est plus sonore, ne relève
plus de l’audition mais de la
vue. Cette intégration à l’écriture
d’éléments appartenant à la tradition
orale, si paradoxale puisse-telle
paraître à première vue, à travers
la voie de la poésie et du roman,
fait appel à l’imaginaire sensoriel
du lecteur. Si le rôle de la
musique est parfois encore celui
d’accompagnement comme le
veut la tradition griotique (chez
Senghor par exemple avec la présence
des didascalies musicales qui
jalonnent ses poèmes), il est plus
souvent un motif, un thème. Ce
qui lui confère une toute autre dimension
qui est à envisager dans
le cadre d’une étude de littérature
comparée qui pourra faire appel à
des notions et connaissances relevant
de disciplines diverses telles
que la musicologie, l’ethnomusi-
46 L’Arbre à Palabres N° 18 Janvier 2006