De la représentation et de l'usage de la musique - Association des ...

PALABRES
CULTURE & ARTS
60 - L. S. Senghor, « De la
négritude », in : Anthologie des
écrivains congolais, Boulogne,
Delroisse, 1969
cession de cycles générée par leur
participation au monde. Le Noir
tel que le définit Senghor, plus que
simple observateur, s’identifie aux
objets extérieurs. C’est en lui-même
qu’il puise la Vérité de
l’Univers : Il (le Nègre) est d’abord
sons, rythmes, formes et couleurs [...]
Il sent plus qu’il ne voit : il se sent.
C’est en lui-même, en sa chair qu’il
reçoit et ressent les radiations
qu’émet tout-existant objet [...] Il
n’est pas assimilé, il s’assimile, il
s’identifie à l’autre, ce qui est la
meilleure façon de connaître. 60
Ainsi, plus que simple transmetteur,
le poète est poésie pure.
Il est ce qu’il écrit et ce qu’il
évoque. Il est donc rythme et musique.
Voyons donc maintenant comment
se manifeste dans l’œuvre de
Senghor cette notion fondamentale
qu’est la musique et la place
qu’elle occupe dans sa poétique.
Comme il le dit lui-même, le poème
n’est accompli que s’il se fait
chant, parole et musique en même
temps. Ainsi, le texte poétique est
quelque part à l’image d’une partition
musicale. On comprend
donc la présence récurrente de
sortes de didascalies destinées à
préciser l’instrument ou les instruments
censés accompagner la
pseudo exécution orale du poème.
Depuis son jeune âge dans les
rangs du lycée Louis Le Grand à
Paris, Senghor témoigne d’un
grand intérêt pour la musique,
particulièrement pour le jazz et la
musique classique. Ses goûts sont
toutefois très éclectiques et cosmopolites,
ce qui explique la diversité
des origines des instruments
qu’il intègre à son œuvre
par le biais des didascalies.
Dans la postface d’Éthiopiques,
Senghor énonce ses véritables intentions
qui visent une sorte de retour
aux sources, en renouant
avec les origines mêmes de la poésie.
Il faut restituer celle-ci à ses origines,
au temps qu’elle était chantée
– et dansée. Comme en Grèce,en
Israël, surtout dans l’Egypte des
Pharaons. Comme aujourd’hui en
Afrique noire. Au nom de cette
quête des origines, sa poésie mêle
modèles africains et modèles de
l’antiquité gréco-latine.
Son ambition est de ressusciter le
poème africain. Mais le titre de son
premier recueil Chants d’ombre est
très révélateur de sa conception universaliste
de la poésie. La polysémie
du mot chant (du grec ôdê, du latin
carmen – chant, incantation, poème
– et de termes vernaculaires woy et
guimm – chant, poème) atteste de
l’ambivalence de cette notion.
En effet, ces termes vernaculaires,
le premier du wolof, le second
du sérère, reviennent souvent
dans les didascalies et ce, non
seulement du fait de leur parenté
68 L’Arbre à Palabres N° 18 Janvier 2006