Autoroutes dans la ville Par Jean-Michel Vincent 2000 voitures en 1900, 2 millions en 1935, 35 millions aujourd'hui. La voiture ne doit pas avoir que des inconvénients pour avoir autant de succès. Elle a fait éclater la ville : à raison de 0,5 m 2 d'espace public pour un piéton ou un voyageur en transport en commun, et 7 m 2 d'espace public pour un automobiliste, la voiture a forcé les espaces publics des urbanisations anciennes, puis étendu un réseau a l'extérieur de ces urbanisations. Elle a permis le développement de la banlieue et, au-delà, favorisé l'étalement urbain. Du début des années 60 à, symboliquement, l'an 2000, le réseau autoroutier s'est constitué et saturé. La doctrine routière, le savoir faire des ingénieurs se sont formés au début de ces décennies autour de la vitesse, de plus en plus différenciée de celle du piéton, puis amendés au fil du temps devant le tribut à payer en tués et handicapés. La recherche de la vitesse a constamment agrandi les rayons de giration en plan et en profils en long, modelant ou sabotant, c'est selon, un parcellaire et un paysage qui n'avaient pas connu de telles traversées depuis le chemin de fer. La doctrine a institué la clotoïde, cette forme géométrique qui permet l'échange autoroutier sans quitter la pédale de l'accélérateur. Successivement, I'échangeur dit « trèfle » est devenu une figure emblématique de la modernité, la rangée de platanes est devenue cause de tous les malheurs, I'autoroute une raison dominante puisqu'elle était devenue moins accidentogène que la route nationale ne l'est dans la ville. La déviation contournant villes et villages s'est installée dans les campagnes... électorales. Au zénith dans les années 70, cet emblème de la modernité a dû faire quelques concessions : les giratoires ont fleuri, ici ou là, la route s'est de nouveau appelée rue, la rue piétonne a surgi dans la grand-rue, loin des centres commerciaux toujours plus grands, toujours plus rentables. Au seuil du troisième millénaire, le drapeau de la modernité a été arraché à l'automobile par l'immatériel, le virtuel. Le nombre de tués sur les routes est devenu un enjeu politique, la limitation de la vitesse, et son non-respect, sont entrés dans le couloir de la « tolérance zéro » ; tandis que le « développement durable » a commencé, pierre à pierre, à démonter l'édifice dans l'espace public de la ville, désormais « a partager ». Il est vrai qu'en Île-de-France plusieurs dizaines de kilomètres de bouchons, matin et soir, ramènent la vitesse commerciale de la voiture au-dessous de 20 km/heure sur les trajets banlieue - Paris. <strong>Les</strong> avenues parisiennes sont explicitement ramenées à la civilisation, le mur anti-bruit a remplacé le contournement dans les discussions budgétaires des assemblées, tandis que les trains de camions qui saturent les autoroutes françaises ont conduit à interdire leur circulation le week-end. Chemin faisant, cela n'a échappé à personne, le développement routier a été et continue d'être un facteur de développement économique, en termes d'emploi dans l'industrie automobile, ses sous-traitants et les garagistes, en termes de desserte des zones d'emploi, de tourisme, des ensembles urbains. En Île-de-France, le bouclage de l'A86 ou celui de la Francilienne sont des enjeux majeurs, à l'échelle de la région, comme à celle de Cergy-Pontoise. Pour autant, aujourd'hui, la ville a encerclé un certain nombre d'échangeurs et de tronçons d'autoroute, comme elle a encerclé, hier, le chemin de fer et ses gares. Le passage sur le territoire, rude, de l'infrastructure, son lien avec le réseau routier ordinaire, fut-il « primaire », le développement économique qu'il génère ou peut générer méritent d'être revisités. Fondamentalement, la vitesse automobile n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était. C'est pourquoi la forme géométrique des échangeurs, mais aussi de certains tronçons d'autoroute, voire leur vocation urbaine, méritent d'être revues, d'autant plus lorsque la clotoïde débouche sur un feu rouge et que le foncier est très demandé. L'approche monofonctionnelle de l'infrastructure (dans laquelle nécessité fait loi, mettant à l'arrièreplan la question des nuisances) doit être, désormais, Séminaire de préfiguration de la session d’été 2008 | page 86
élargie. Elle doit prendre en compte le système économique, urbain, environnemental dans lequel elle s'inscrit et qui rétroagit sur elle : densité et mixité urbaines, développement économique et territorial, dynamiques de requalification urbaine ; mais d'abord, lien étroit entre localisation des emplois et des logements, générateurs de trafic, à I'heure de pointe, qui donne sa visibilité maximale à la problématique contemporaine de l'infrastructure routière en milieu urbain. Sans oublier complètement le transport de marchandises, qui est, a raison de 25 tonnes par habitant et par an, de 7 a 8 fois supérieur a celui du kilomètre du transport de voyageurs, en terme de gaz à effet de serre. Jean-Michel Vincent 24 décembre 2006 Séminaire de préfiguration de la session d’été 2008 | page 87