La non-exclusion ou <strong>la</strong> perman<strong>en</strong>ce du li<strong>en</strong> 1« Il n’y a aucune condition à notre accueil, si nous te r<strong>en</strong>controns c’est que nous allonst’accueillir. » « Même si tu persistes dans tes comportem<strong>en</strong>ts, tu resteras parmi nouset nous ne t’exclurons pas. » Voilà ce que nous disons aux ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tes « diffici<strong>le</strong>s »lors des <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s d’accueil.Provocation, folie, inconsci<strong>en</strong>ce ?Ri<strong>en</strong> de tout ce<strong>la</strong> ! Ces deux vo<strong>le</strong>ts - l’abs<strong>en</strong>ce de condition à l’accueil demandé parune autorité mandante <strong>pour</strong> une ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te <strong>en</strong> grande difficulté d’une part, et <strong>le</strong> nonr<strong>en</strong>voi d’autre part - constitu<strong>en</strong>t ce que nous nommons « non-exclusion ». C’est unebase de travail réfléchie et assumée et qui nous paraît une condition ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong> ànotre action éducative.Marc COUPEZ, ex-Directeur 2Diane MONGIN, PsychologueLe Toboggan, MonsLes ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tes que nous accueillons ont vécudes traumatismes précoces, des car<strong>en</strong>cesaffectives ou des maltraitances qui <strong>le</strong>s ontb<strong>le</strong>ssées et <strong>le</strong>ur ont fait perdre <strong>le</strong>ur confiance <strong>en</strong>l’adulte, <strong>en</strong> l’autre, et <strong>en</strong> <strong>le</strong>ur capacité d’être aimées.El<strong>le</strong>s arriv<strong>en</strong>t dans notre institution, <strong>la</strong> plupart dutemps, après avoir connu une dizaine de foyers oude c<strong>en</strong>tres d’hébergem<strong>en</strong>t. El<strong>le</strong>s ont appris à tester<strong>la</strong> crédibilité et <strong>la</strong> fiabilité de ceux qui prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t <strong>le</strong>uroffrir de l’aide. El<strong>le</strong>s rêv<strong>en</strong>t de poser des valises bi<strong>en</strong>lourdes de souffrances passées et prés<strong>en</strong>tes mais ycroi<strong>en</strong>t si peu qu’el<strong>le</strong>s préfèr<strong>en</strong>t tout casser plutôtque d’être à nouveau déçues. C’est ce que nousappelons l’« abandonnisme ».Le principe de non-exclusion…Les C<strong>en</strong>tres d’accueil spécialisé (C.A.S.)En Belgique, <strong>le</strong>s C.A.S. ont <strong>pour</strong> mission d’organiser l’accueil col<strong>le</strong>ctif de jeunes qui nécessit<strong>en</strong>tune aide particulière et spécialisée, eu égard à des comportem<strong>en</strong>ts agressifs ou vio<strong>le</strong>nts, desproblèmes psychologiques graves, des faits « qualifiés infraction » répétitifs ou lorsque <strong>la</strong>demande concerne un jeune qui est confié au groupe des <strong>Institut</strong>ions Publiques de Protectionde <strong>la</strong> Jeunesse (I.P.P.J.).Les Projets pédagogiques particuliers (P.P.P.)Certains services agréés mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> œuvre un Projet pédagogique particulier (PPP). C’est à direqu’ils organis<strong>en</strong>t un projet particulier et exceptionnel d’aide aux jeunes <strong>en</strong> difficulté selon desmodalités non prévues par <strong>le</strong>s arrêtés spécifiques, afin de <strong>le</strong>ur permettre de réussir une expéri<strong>en</strong>cede vie origina<strong>le</strong> et positive. Ces services peuv<strong>en</strong>t travail<strong>le</strong>r avec ou sans mandat.Le TobogganAgréé comme C.A.S. jusqu’<strong>en</strong> janvier 2009, <strong>le</strong> Toboggan est aujourd’hui reconnu comme PPP.Depuis 1988, il accueil<strong>le</strong>, à Mons, dans <strong>le</strong> cadre d’un C.A.S., 15 jeunes fil<strong>le</strong>s de 14 à 18 ans,parfois jusqu’à l’âge de 20 ans lorsque c’est nécessaire. Dès 2004, <strong>le</strong> Toboggan a mis <strong>en</strong> p<strong>la</strong>ceun projet pilote, MARSUPILAMA, qui vise l’accueil de deux ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tes mères ou futures-mères.Depuis janvier 2009, ce projet est pér<strong>en</strong>nisé et <strong>le</strong> Toboggan est maint<strong>en</strong>ant agréé comme P.P.P.,proposant l’accueil de quinze jeunes fil<strong>le</strong>s <strong>en</strong> grande difficulté dont deux mères ou futuresmères.L’accueil s’effectue sous mandat, c’est-à-dire que <strong>le</strong>s ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tes sont p<strong>la</strong>cées de manièrecontraignante par un Juge ou un Directeur de l’Aide à <strong>la</strong> Jeunesse, plus rarem<strong>en</strong>t par un Conseil<strong>le</strong>rde l’Aide à <strong>la</strong> Jeunesse dans <strong>le</strong> cadre d’une aide acceptée.Dans ce contexte, <strong>le</strong> r<strong>en</strong>voi d’une institution s’inscritsouv<strong>en</strong>t dans <strong>la</strong> continuité de l’abandon familialqu’il répète. Nous avons progressivem<strong>en</strong>t comprisà quel point un rejet de plus constitue, chez uneado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te abandonnique, une maltraitancesupplém<strong>en</strong>taire qui ne peut qu’accroître <strong>la</strong> profondeurde son mal-être, acc<strong>en</strong>tuer sa dérive et discréditerauprès d’el<strong>le</strong> toute re<strong>la</strong>tion d’aide à v<strong>en</strong>ir. Lesinterv<strong>en</strong>ants et <strong>le</strong>s institutions n’ont-ils pas unelourde responsabilité dans <strong>le</strong> « dé<strong>la</strong>brem<strong>en</strong>t » decertains jeunes, lorsque, connaissant <strong>le</strong>ur histoire,el<strong>le</strong>s <strong>en</strong> arriv<strong>en</strong>t à néanmoins décider d’un r<strong>en</strong>voi ?Seul un arrêt de <strong>la</strong> valse des institutions peutinterrompre l’impuissance et l’échec.Quel<strong>le</strong> que soit <strong>la</strong> manière dont nous nous y pr<strong>en</strong>ons,nous ne pouvons compter sur des changem<strong>en</strong>tsimmédiats. Si nous avons parfois <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t qu<strong>en</strong>os efforts sont inuti<strong>le</strong>s lors du suivi-même d’uneado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te, il arrive <strong>en</strong> revanche très souv<strong>en</strong>tqu’une jeune fil<strong>le</strong> revi<strong>en</strong>ne nous voir après samajorité <strong>pour</strong> nous par<strong>le</strong>r de sa vie et de ce qu’el<strong>le</strong>a appris auprès de nous, témoignant à <strong>la</strong> fois duli<strong>en</strong> qui s’est tissé <strong>en</strong>tre el<strong>le</strong> et certains membresde l’équipe et de l’impact de notre action.38<strong>Conflu<strong>en</strong>ce</strong>s N°<strong>26</strong> Juin 2011
Ne pas exclure est un prérequis, un préa<strong>la</strong>b<strong>le</strong> sans<strong>le</strong>quel aucune action éducative n’aurait de s<strong>en</strong>s. Ils’agit d’instaurer un li<strong>en</strong> de confiance qui autorise<strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion d’aide là où une nouvel<strong>le</strong> rupture <strong>la</strong>déforcerait. Nous devons faire preuve à cet égardde pati<strong>en</strong>ce, de ténacité et de disponibilité.La non-exclusion 3 est une des bases de notretravail. Nous avons pu é<strong>la</strong>borer <strong>le</strong>s caractéristiquesindisp<strong>en</strong>sab<strong>le</strong>s à notre travail <strong>en</strong> reliant desobservations qui concern<strong>en</strong>t un travail m<strong>en</strong>éaujourd’hui depuis 15 ans 4 .Un accueil sans condition…Certaines institutions accueil<strong>le</strong>nt un jeune àcondition qu’il ait un projet. Nous savons que sitel était <strong>le</strong> cas nous ne serions pas là et l’ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t<strong>en</strong>on plus. Nous voulons dire par là qu’il est peuprobab<strong>le</strong> qu’une ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te <strong>en</strong> grande difficultéarrive chez nous dans <strong>le</strong> cadre d’une aide acceptéeavec un projet dont el<strong>le</strong> est porteuse. Dans <strong>le</strong> casoù l’aide est contrainte, il est paradoxal de demanderd’<strong>en</strong>trée de jeu un projet ou même une demande.Nous avons d’ail<strong>le</strong>urs appris à travail<strong>le</strong>r sans cettefameuse demande qui semb<strong>le</strong> indisp<strong>en</strong>sab<strong>le</strong> à tantde services.Nous ne disposons pas de critères d’acceptationou de refus qui nous ferai<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>voyer uneado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te avant même de l’admettre. A partir dumom<strong>en</strong>t où une autorité mandante nous sollicite<strong>pour</strong> une jeune fil<strong>le</strong>, nous l’accueillons <strong>pour</strong> autantque notre capacité d’accueil nous <strong>le</strong> permette.Une p<strong>la</strong>ce réservée…Une fois accueillie, une ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te a sa p<strong>la</strong>ceau foyer jusqu’à sa majorité, c’est-à-dire que nousne <strong>la</strong> r<strong>en</strong>verrons pas.Il peut arriver néanmoins qu’à <strong>la</strong> demande d’unjuge et parce que sa situation l’exige, el<strong>le</strong> soitmom<strong>en</strong>taném<strong>en</strong>t accueillie dans une autreinstitution, généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t une <strong>Institut</strong>ion Publiquede Protection de <strong>la</strong> Jeunesse ou un hôpitalpsychiatrique. Il ne s’agit pas d’une exclusion dans<strong>la</strong> mesure où, là, <strong>la</strong> décision ne relève pas de nouset où notre institution continue à suivre l’ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te(visites, <strong>pour</strong>suite du travail familial…) - et bénéficieà cet égard d’un mandat -, et surtout dans <strong>la</strong> mesureoù el<strong>le</strong> réintègre <strong>le</strong> foyer après cet écartem<strong>en</strong>t.De <strong>la</strong> même façon lorsqu’une ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te est <strong>en</strong>fugue, nous n’accueillons pas une autre jeune fil<strong>le</strong>à sa p<strong>la</strong>ce. Rev<strong>en</strong>ir après des mois de fugue etconstater qu’el<strong>le</strong> a toujours sa p<strong>la</strong>ce au foyer et quecelui-ci a continué à s’investir dans sa rechercheet à sout<strong>en</strong>ir sa famil<strong>le</strong> a d’ail<strong>le</strong>urs parfois des effetsspectacu<strong>la</strong>ires dans l’évolution d’une jeune fil<strong>le</strong>.… Un cadre <strong>pour</strong> tisser du li<strong>en</strong>On aura compris qu’il ne s’agit pas d’un but <strong>en</strong>soi à atteindre quoi qu’il dût <strong>en</strong> coûter à l’institution,mais d’une philosophie de travail qui nous permetde créer un cadre propice à tisser un li<strong>en</strong> avecl’ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te que nous accueillons.A partir du mom<strong>en</strong>t où el<strong>le</strong> et nous savons que nousnous donnons du temps <strong>pour</strong> être quelqu’un l’un<strong>pour</strong> l’autre, <strong>la</strong> fuite <strong>en</strong> avant peut s’arrêter. « Peut »parce que ce<strong>la</strong> ne résout ri<strong>en</strong> bi<strong>en</strong> sûr, et nous n’avonsaucune garantie du succès de notre <strong>en</strong>treprise. Cettemanière de travail<strong>le</strong>r ne change ni son histoire ni sasouffrance et el<strong>le</strong> a ses limites.Ses limitesPour <strong>le</strong>s ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tes, abs<strong>en</strong>ce de r<strong>en</strong>voi peutsignifier abs<strong>en</strong>ce de limites et, là <strong>en</strong>core, el<strong>le</strong>s vonttester <strong>le</strong> système. Les règ<strong>le</strong>s exist<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> sûr etsont toujours rappelées <strong>en</strong> tant que garde-fous etvecteurs de socialisation, mais <strong>le</strong>s sanctions nepeuv<strong>en</strong>t être que <strong>le</strong>s conséqu<strong>en</strong>ces de l’actecommis. El<strong>le</strong>s vont éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t vérifier <strong>la</strong> cohér<strong>en</strong>cede nos dires et <strong>la</strong> solidité du li<strong>en</strong> qui se tisse avecnous. Leur souffrance et <strong>le</strong>urs symptômes peuv<strong>en</strong>tdans un premier temps s’<strong>en</strong> trouver exacerbés card’anci<strong>en</strong>nes b<strong>le</strong>ssures sont ravivées. Si nous net<strong>en</strong>ons pas paro<strong>le</strong> à ce mom<strong>en</strong>t- là, l’impact estplus négatif <strong>en</strong>core que si nous n’avions ri<strong>en</strong> dit.Par ail<strong>le</strong>urs, si <strong>la</strong> non-exclusion est une « stratégie »pertin<strong>en</strong>te <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>s abandonniques, el<strong>le</strong>ouvre <strong>en</strong> revanche <strong>la</strong> porte à une manipu<strong>la</strong>tion ouune utilisation perverse de <strong>la</strong> part d’ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tesfermées à toute re<strong>la</strong>tion d’aide ou s’inscrivant dansun registre psychopathique.Les limites sont aussi <strong>le</strong>s limites professionnel<strong>le</strong>set humaines des membres de l’équipe. Leséducateurs sont <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce confrontés àl’inquiétude, l’impuissance, et à ce qui - il fautbi<strong>en</strong> <strong>le</strong> dire - ressemb<strong>le</strong> souv<strong>en</strong>t à un échec de<strong>le</strong>ur action éducative.De plus, même si il y a bi<strong>en</strong> évidemm<strong>en</strong>t desconséqu<strong>en</strong>ces aux actes, ne pas r<strong>en</strong>voyer impliquede ne pas s’appuyer sur <strong>le</strong> système de punitionset de sanctions dont <strong>le</strong> r<strong>en</strong>voi constitue, <strong>en</strong> mêmetemps que l’ultime étape, <strong>le</strong> fondem<strong>en</strong>t même.Ce<strong>la</strong> induit un suivi éducatif particulier etinsécurisant <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s éducateurs.Tout ce<strong>la</strong> exige que nous ne travaillions jamais seuls.Nous sommes <strong>en</strong> re<strong>la</strong>tion étroite avec <strong>le</strong>s autoritésmandantes qui sont <strong>le</strong> tiers qui rappel<strong>le</strong> <strong>la</strong> loi. Lesuivi que nous assurons n’est possib<strong>le</strong> que si el<strong>le</strong>sassum<strong>en</strong>t à nos côtés <strong>le</strong>s risques inhér<strong>en</strong>ts à cetype de travail éducatif et que si el<strong>le</strong>s compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tet partag<strong>en</strong>t notre approche pédagogique.Ce sont el<strong>le</strong>s qui pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>la</strong> décision d’un p<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>ttemporaire <strong>en</strong> IPPJ lorsque <strong>le</strong>s risques devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>ttrop importants ou à <strong>la</strong> suite d’actes délinquantscommis par l’ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>te. Il nous revi<strong>en</strong>t de travail<strong>le</strong>r<strong>en</strong> col<strong>la</strong>boration étroite avec ces structures d’accueiltransitoires alors même que nous appart<strong>en</strong>ons àdes logiques différ<strong>en</strong>tes.Les famil<strong>le</strong>s, parfois ravies de trouver <strong>en</strong>fin uneinstitution qui ne lâchera pas, peuv<strong>en</strong>t complètem<strong>en</strong>tdémissionner ou, plus souv<strong>en</strong>t dans une ambiva<strong>le</strong>nceaisém<strong>en</strong>t compréh<strong>en</strong>sib<strong>le</strong>, mettre à mal et discréditernotre action parce que nous ti<strong>en</strong>drions là où el<strong>le</strong>sont lâché prise.Heureusem<strong>en</strong>t ce parti-pris de ne pas exclure nousdonne <strong>le</strong> temps de travail<strong>le</strong>r avec <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s…Ses atoutsLe fait que <strong>la</strong> famil<strong>le</strong> sache que nous « ironsjusqu’au bout », que nous sommes uninterlocuteur définitif change beaucoup deDOSSIER<strong>Conflu<strong>en</strong>ce</strong>s N°<strong>26</strong> Juin 2011 39