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Olive Senior - PEN International

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16<br />

DES PAROLES ... PATRICE NGANANG<br />

Patrice Nganang<br />

La mort de la littérature<br />

francophone<br />

La tragédie des peuples dominés est qu’ils doivent en des intervalles réguliers<br />

répéter les étapes de leur domination. Cette répétition c’est l’histoire de leur<br />

littérature quand celle-ci est inféodée à leur histoire politique: ainsi une génération<br />

qui aux cris de « retour aux sources! » découvre les valeurs de son moi racial est<br />

succédée par une autre qui, elle, se dissout dans l’universel en une aventure où<br />

chacun tragiquement croit avoir raison. A ce même moment s’entend le cri de<br />

‘retour aux sources!’ d’une nouvelle génération qui elle aussi croit innover en<br />

remplaçant race par nation, et qui va être dépassée par une autre qui découvre<br />

soudain les limbes du cosmopolitisme. Comme si ceux-là qui ne juraient que par<br />

la race n’étaient pas des cosmopolites! Tragique est cette aventure, pas seulement<br />

à cause du piétinement de l’esprit qu’elle comporte, mais surtout à cause du<br />

circulus vitiosus dans lequel elle enferme l’intelligence de nombreuses générations.<br />

L’histoire de la littérature africaine d’expression française est marquée au signe de<br />

cette cyclique répétition, écrite qu’elle est sous ce double leitmotiv, d’abord racial<br />

et puis national, qui l’un comme l’autre ouvrent sur leur propre sabordement. Le<br />

premier leitmotiv, son histoire est d’accord là-dessus, invente en 1939 le mot pour<br />

se désigner dans le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, la négritude, en<br />

plein cœur de l’expérience coloniale et au début d’une mortelle guerre mondiale,<br />

et découvre son espace d’expression en 1948 dans l’Anthologie de la nouvelle poésie<br />

nègre et malgache publiée par Léopold Sédar Senghor. L’Anthologie était une œuvre<br />

de circonstance, qui réunissait surtout des intellectuels francophones basés à Paris,<br />

on le sait ; mais elle était aussi une volonté d’inscription des mots de ces écrivains<br />

africains dans l’histoire générale des peuples noirs, un enracinement donc, 1848<br />

étant la date de l’abolition de l’esclavage dans l’espace français. « Schoelcher<br />

s’élevait avec fougue », tels sont d’ailleurs les premiers mots de ce livre devenu<br />

classique, « contre le préjugé qui attribuait aux noirs une ‘incapacité cérébrale’<br />

et proclamait ‘que la prétendue pauvreté intellectuelle des nègres est une erreur<br />

crée, entretenue, perpétrée par l’esclavage. » Victor Schoelcher, cet abolitionniste<br />

à qui Aimé Césaire consacrera bientôt un livre. Dire qu’il s’agissait de la prise de<br />

parole de l’affranchi, c’est souligner une évidence; mais croire qu’ainsi la littérature<br />

arrachait un peuple au paradigme de sa domination, c’est dire un leurre dont les<br />

écrivains d’Afrique ne sont pas encore sortis.<br />

S’il est inutile donc de signaler que Senghor, Césaire et Damas, le masculin<br />

triumvirat de la négritude, avait conscience de commencer l’histoire intellectuelle<br />

africaine contemporaine sur un nouveau pied; et c’est-à-dire surtout de cirer les<br />

chaussures de ce pied-là au noir, l’histoire de la littérature des peuples d’Afrique<br />

nous a enseigné entretemps, elle, que dans les sifflotements de leur entrain<br />

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