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Olive Senior - PEN International

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DES PAROLES ... DÉCOUVERT EN TRADUCTION<br />

avait pas trouvées. Mon vieux père se tenait à l’écart et me regardait en silence.<br />

La kippa vissée sur la tête, il avait les yeux mi-clos et semblait habité par une tristesse<br />

venue d’un autre monde. Ses papillotes blanches tombaient sur ses joues maigres<br />

telles des clochettes d’argent dont on n’entendait jamais les grelots.<br />

Pendant que je lisais, la lumière déclinait. Haïm Apropo partit de son côté et<br />

moi je restai figé sur place. C’est alors que je vis, plantées dans quatre chandeliers<br />

en bronze, quatre bougies sur le point de tomber. Je voulus les redresser afin qu’elles<br />

ne brûlent pas la nappe et la table. Une bougie se tordit dans ma main, une autre<br />

fondit dans mes doigts, et les deux dernières finirent par se déformer elles aussi.<br />

Je commençai à regretter d’avoir suivi monsieur Apropo et de m’être mêlé de<br />

ce qui ne me regardait pas. Mais maintenant j’avais déjà commencé, je ne pouvais<br />

plus revenir en arrière. Je m’épongeai le front et posai mes affaires pour me libérer<br />

les mains, puis je revins à mes bougies. Mes mains se ramollirent et mes doigts<br />

s’embrouillèrent.<br />

En relevant la tête, je vis qu’on avait déjà allumé les lumières de shabbat dans<br />

toutes les habitations du quartier et que mes hôtes avaient l’air irrités. Je me dis,<br />

les bougies ont été allumées partout dans ces maisons avant la prière du shabbat.<br />

En tout cas, il fallait se presser. Je jetai un regard sur mon vieux père. Sa lèvre<br />

inférieure s’allongea et s’affaissa, comme s’il était mécontent de ce qu’il voyait.<br />

Une fois de plus je me dis : me voilà avec les bougies des autres alors que je suis<br />

sensé me baigner.<br />

Au moment où je me souvenais de la mer, elle apparut devant mes yeux ;<br />

beaucoup de gens avaient de l’eau jusqu’au nombril. Je me demandai comment<br />

j’allais faire pour me sortir de là quand un homme se pencha par la fenêtre, regarda<br />

dehors puis retourna la tête et dit : « Mésopotamie. » La Mésopotamie n’avait rien<br />

à voir là-dedans, mais je compris qu’il s’agissait d’un langage crypté. Cette personne<br />

utilisait un langage abstrait pour ne pas m’embarrasser. Je pris peur et je me dirigeai<br />

vers la plage.<br />

La mer se souleva et les eaux se dressèrent comme un mur. Puis la mer se retira<br />

et les baigneurs continuèrent à patauger dans les flaques d’eau luisantes dans la<br />

lumière du soleil couchant. Certains étaient nus, d’autres habillés légèrement, et<br />

d’autres encore avaient leur liquette sur les yeux, comme s’ils n’avaient pas fini<br />

de l’enfiler. Je cherchai un endroit où poser mon paquet mais je ne trouvai aucune<br />

place libre. J’étais gêné d’être la seule personne habillée parmi tous ces gens nus.<br />

Quand je décidai de m’en aller, je vis comme un pont jeté sur la mer. Je posai mon<br />

paquet sous le pont, près d’une flaque d’eau, j’ôtai mes vêtements et me préparai<br />

à sauter à l’eau.<br />

Soudain, j’eus peur de ne plus distinguer le vêtement que je venais d’enlever<br />

de la liquette propre que j’avais emportée avec moi. La mer remonta et me mouilla<br />

les pieds. Je m’élançai et grimpai sur le pont. Et le voilà qui s’ébranle et commence<br />

à bouger.<br />

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