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Olive Senior - PEN International

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DES PAROLES ... PATRICE NGANANG<br />

poétique, ils répétaient l’écho d’une voix qui avait été entendue au début du siècle,<br />

au cœur de l’Amérique de la Negro Renaissance. L’anthologie-maitresse d’Alain<br />

Locke, The New Negro : Voices of the Harlem Renaissance publiée en 1925, le lieu où<br />

cette voix s’était trouvé son élan, réunissait cette génération d’Africains-Américains<br />

qui dans les sources de la race voulaient trouver l’origine de leur chant. La clôture<br />

du grand cri enfermé entre les pages de l’anthologie de Locke aura lieu avec Ralph<br />

Ellison, l’auteur de Invisible Man, et chantre de l’intégration, qu’il formula d’ailleurs<br />

clairement dans son « Haverford Statement », en plein cœur des révoltes de 1969,<br />

quand la jeunesse noire animée par ce qu’elle appelait « nationalisme » l’appelait<br />

« sell-out », c’est-à-dire « vendu » : « j’insisterai sur mon affirmation personnelle de<br />

l’intégration sans perte de notre identité unique en tant que peuple comme étant<br />

le but possible, en fait inévitable des américains noirs », leur répondra-t-il. Si donc<br />

la négritude fait écho à la Harlem Renaissance, et d’ailleurs Senghor a toujours<br />

insisté sur cette généalogie transatlantique, la découverte par le poète-président de<br />

la « Civilisation de l’Universel », du « rendez-vous du donner et du recevoir » comme<br />

étant son achèvement nécessaire, ne peut que faire écho à cette vision clôturante<br />

d’Ellison. Il faut peut-être lire les dernières pages de l’essai-mitraillette de James<br />

Baldwin, The Fire Next Time, pour voir l’explosif que cette communauté par-delà les<br />

races représentait pour une Amérique couchée dans le lit hirsute du racisme.<br />

C’est pourtant dans les pages même de l’Anthologie de Senghor, en une<br />

introduction bien historique celle-là, « Orphée noir », que Jean-Paul Sartre aura<br />

défini l’achèvement de l’idée de la négritude comme logique, et pronostiqué<br />

sa clôture comme sabordement. ‘En fait’, écrit-il dans des lignes qu’aura le plus<br />

souligné Frantz Fanon, son lecteur assidu, « la négritude apparaît comme le temps<br />

faible d’une progression dialectique … Ce moment négatif n’a pas de suffisance<br />

en lui-même… Il vise à préparer la synthèse ou réalisation de l’humain dans<br />

une société sans races. Ainsi elle est pour se détruire, elle est passage et non<br />

aboutissement, moyen et non fin dernière. » Frantz Fanon précise, dans Peau<br />

noire, masques blancs, publié en 1952 : « Jean-Paul Sartre, dans cette étude a détruit<br />

l’enthousiasme noir »; et il continue perspicace, car il a compris que c’était l’acte de<br />

décès du mouvement qui était écrit ici avec son introduction : « l’erreur de Sartre a<br />

été non seulement de vouloir aller à la source de la source, mais en quelque sorte<br />

de tarir la source. » Pourtant ce qu’il n’aurait peut-être pas soupçonné, Fanon,<br />

c’est que « l’erreur de Sartre » sera très vite celle de Senghor, car dans l’évolution<br />

de son histoire, avec la « Civilisation de l’Universel », la négritude senghorienne<br />

écrira son propre sabordement, comme pour encore mieux donner raison à son<br />

bienfaiteur critique et préfacier parisien de 1948 ! Ah, n’est-ce pas là, dirait-on,<br />

déjà une répétition de cette histoire qui dans la littérature africaine-américaine<br />

avec Ralph Ellison avait clôt jadis les promesses racialisantes de la Harlem<br />

Renaissance ? Si seulement avec la fin de la négritude, le cercle qui limite la parole<br />

africaine dominée était ici enfin voué aux archives des idées ? Que non ! Il faudra<br />

qu’il se trouve aussi des tentacules caribéennes pour, dans le dépassement de la<br />

négritude cesairienne par cette autre trinité masculine, Chamoiseau, Bernabé<br />

et Confiant, découvrir également dans le flamboyant tombeau de la creolité sa<br />

suicidaire épiphanie ! Ainsi donc, comme possédée dans ses trois manifestations<br />

par la dictée d’une identique pulsion ontologique, la littérature des peuples noirs<br />

a-t-elle toujours trouvé, ici et là, des États-Unis aux Antilles et en Afrique, son<br />

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