Olive Senior - PEN International
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DES PAROLES ... PATRICE NGANANG<br />
anéantissement au bout d’une évolution par tout logique qui la fait tragiquement<br />
déboucher dans la béatitude universelle de son émiettement.<br />
Comme s’il n’y avait de mort digne que lorsqu’elle ne se vit pas une, mais<br />
deux, mais trois fois, le second leitmotiv de la littérature africaine d’expression<br />
française n’échappera pas à la logique répétitive de son histoire encerclée dans le<br />
paradigme de la domination. Or ici, c’est Frantz Fanon qui définira sa parturition<br />
dans les sources des projets nationaux africains de 1960. La critique de la littérature<br />
africaine ne s’est pas encore vraiment éloignée de la répartition dans Les Damnés<br />
de la terre en trois phases, des textes produits par les écrivains du continent :<br />
d’abord la littérature assimilationniste, née sous le parapluie de la condition<br />
coloniale ; ensuite le réveil à la race dont la jouvence abreuve l’écrivain au point<br />
de le constiper ; et puis enfin, plus importante pour Fanon, la littérature nationale,<br />
fruit d’une conscience bâtie au fourneau de la nation au matin de sa naissance. Fi<br />
de la race dans ce projet national des idées africaines, oui, mais c’est pour découvrir<br />
dans la nation l’origine de la littérature nouvelle, et continuer l’inféodation de<br />
la chose littéraire sous le projet politique, même si différent, celui-là ! Ils sont<br />
nombreux les auteurs qui figurent dans ce canon de la littéraire derechef enracinée<br />
dans la politique, qui au Congo avec Tchikaya U’Tamsi, au Sénégal avec Mariama<br />
Ba ou Boubacar Boris Biop, au Cameroun avec les derniers romans de Mongo Beti,<br />
ont écrit cela que sont les nations en réalité : des fictions. Or dans leur dos voici<br />
recommencer le parcours qu’on sait déjà, d’une littérature qui à peine née, de<br />
manière effiévrée court déjà vers son propre sabordement heureux! Ici avouons-le<br />
le chemin est autre, même si les étapes sont presque calquées sur le leitmotiv qui<br />
à la négritude avait déjà dicté son suicide. Les pages les plus illisibles aujourd’hui<br />
de Les Damnés de la terre, sont sans doute celles dans lesquelles Fanon argumente<br />
avec peine contre l’idéologie de la bourgeoisie néocoloniale, idéologie qui pour lui<br />
a une désignation bien claire : le cosmopolitisme. Pour Fanon le cosmopolitisme<br />
n’est pas seulement économique, donc dépendance par rapport à la métropole ;<br />
dans une tradition bien marxiste qui lui préférait l’internationalisme, il est avant<br />
tout idéologique : sa littérature est assimilationniste. Au lieu du cosmopolitisme<br />
c’est donc plutôt l’internationalisme qui fera l’auteur martiniquais embrasser la<br />
cause algérienne à rebours du triangle infâme qui a inscrit dans l’Atlantique les<br />
racines de la diaspora noire, car le cosmopolitisme voilà pour lui bien l’ordure à<br />
jeter ! C’est au nationalisme qu’il offre au contraire un futur, et par extension, au<br />
panafricanisme qui selon lui le conclut.<br />
Certes nous écrivons aujourd’hui au chevet du projet identitaire : plus que<br />
le sabordement senghorien, le génocide qui eut lieu au Rwanda en 1994 en a<br />
marqué la plus cinglante conclusion. Nous écrivons à l’extérieur du parapluie des<br />
États : l’émigration ininterrompue des auteurs africains et même l’implosion de<br />
certains États tel la Somalie ou le Soudan auront été suffisants pour nous dire<br />
combien nos pays sont mortels. Pourtant surtout c’est au milieu des ruines du<br />
projet national qui porta l’indépendance de bien d’États africains que s’installe<br />
la racine de nos mots. Voilà les conditions qui suffiraient pour expliquer le retour<br />
en force aujourd’hui du cosmopolitisme. S’il est difficile de trouver amusant cela<br />
qui faisait rire un Mongo Beti quand il écoutait le sud-africain Lewis Nkosi se<br />
présenter au congrès des écrivains africains de Berlin en 1977 comme étant un «<br />
Africain anglo-saxon », c’est sans doute parce que nous vivons bien dans une autre<br />
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