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LES CONSERVATEURS<br />

SONT PARMI NOUS...<br />

Je me suis fait dire récemment par deux<br />

«amis» que j’écrivais des âneries dans mes<br />

chroniques. Que mon vocabulaire parfois<br />

cru était tota<strong>le</strong>ment inapproprié. J’ai failli<br />

éclater de rire. J’avais l’impression d’avoir<br />

deux profs pontifiants en face de moi tentant<br />

de sermonner un enfant turbu<strong>le</strong>nt.<br />

L’un de mes interlocuteurs avait même été<br />

choqué à la <strong>le</strong>cture d’une de mes dernières<br />

chroniques tel<strong>le</strong>ment mes propos étaient, selon<br />

lui, grossiers. Cet interlocuteur se vante d’être un<br />

fervent admirateur de l’œuvre de Jean Genet. Cherchez l’erreur!<br />

Ces deux homosexuels pas si loin de moi en termes générationnels revenaient encore une fois sur la norme<br />

que je devrais adopter pour donner une bel<strong>le</strong> image des gais. Et que des propos grossiers ou des références<br />

trop personnel<strong>le</strong>s sur ma vie pouvaient être mal perçus de la population en général. Comment <strong>le</strong>ur rappe<strong>le</strong>r<br />

que <strong>le</strong> magazine est essentiel<strong>le</strong>ment lu par des gais et des <strong>le</strong>sbiennes (et quelques hétéros assez ouverts)? Et<br />

donc, avec prétention, je pensais que ceux-ci étaient plus à même d’entendre ce que j’écrivais, qu’ils soient ou<br />

non d’accord avec moi. Mais je n’avais pas envie de me justifier tant il aurait fallu partir de loin pour, non pas<br />

<strong>le</strong>s convaincre, mais au moins qu’ils se posent <strong>le</strong>s questions.<br />

Je <strong>le</strong>s écoutais. Et je me disais que je venais de faire un bond dans <strong>le</strong> passé. Que par un quelconque maléfice,<br />

j’étais revenu dans <strong>le</strong>s années quatre-vingt quand beaucoup de gais avaient peur de s’afficher, de se montrer,<br />

répétant comme une litanie que la population ne comprendrait pas si nous descendions dans la rue, si nous<br />

revendiquions des droits, si nous nous montrions tels que nous étions. Nous devions nous dissimu<strong>le</strong>r pour nous<br />

faire accepter et nous laisser al<strong>le</strong>r que dans <strong>le</strong> privé, dans quelques bars – eux-aussi – privés, continuer de vivre<br />

comme dans une secte où seuls <strong>le</strong>s initiés pouvaient comprendre.<br />

Je <strong>le</strong>s écoutais, me rendant compte qu’effectivement nous ne partagions rien sinon la même orientation sexuel<strong>le</strong>.<br />

Qu’en dehors de ce petit dénominateur commun, nos visions du monde et des autres étaient différentes, voire<br />

tota<strong>le</strong>ment opposées. Et que ce n’était pas suffisant pour former une communauté d’intérêts, sinon d’esprit.<br />

Bien sûr, ces deux «donneurs de <strong>le</strong>çons» – qui, dans <strong>le</strong>ur vie privée, peuvent se laisser al<strong>le</strong>r à tout ce que la<br />

mora<strong>le</strong> socia<strong>le</strong> réprouverait – partaient du principe que pour se faire accepter, nous devions nous conformer à<br />

ce qu’ils supposaient que la majorité attendait de nous. Bien sûr, ces deux hommes trouvaient que <strong>le</strong> défilé<br />

était trop dénudé et que la présence des drags n’était pas représentatifs de nos communautés, même si <strong>le</strong>urs<br />

regards se scotchaient sur tous <strong>le</strong>s speedos des gars dansant sur <strong>le</strong>s chars. Bien sûr, ils préféraient gommer<br />

toute spécification de <strong>le</strong>ur homosexualité quand ils étaient en présence d’hétérosexuels. Comme ces Noirs qui<br />

cherchent absolument à se blanchir. Bien sûr, ce ne sont pas ces hommes bien engoncés dans <strong>le</strong>urs contradictions<br />

qui se sont battus devant <strong>le</strong>s tribunaux pour obtenir <strong>le</strong> mariage ou même <strong>le</strong> droit à l’adoption, même s'ils<br />

ont été parmi <strong>le</strong>s premiers à s'en réjouir.<br />

Je n’ai même pas essayé de défendre un quelconque point de vue, la situation d’ail<strong>le</strong>urs ne <strong>le</strong> requérait pas. Je<br />

sais que pour ces deux hommes, <strong>le</strong>s <strong>le</strong>sbiennes soient toutes des radica<strong>le</strong>s incompréhensib<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s bisexuels, des<br />

hommes et des femmes qui ne savent pas se brancher. Quant aux trans, cela n’existe que temporairement,<br />

puis-qu’une fois la réassignation sexuel<strong>le</strong> obtenue, el<strong>le</strong>s sont des hommes ou ils sont des femmes. Le dossier<br />

étant fermé par un simp<strong>le</strong> coup de bistouri et un bon cocktail d’hormones. Et que dire de <strong>le</strong>urs commentaires<br />

quand l’affaire Johnny Weir a éclaté! L’un d’entre eux soutenait qu’il n’y avait rien d’homophobe dans <strong>le</strong>s propos<br />

des deux chroniqueurs sportifs. Et que Johnny Weir donnait lui aussi une mauvaise image des sportifs gais.<br />

Mais ce qui me chagrine <strong>le</strong> plus, ce n’est pas tant qu’ils soient déphasés par rapport aux enjeux actuels LGBT,<br />

c’est qu’il n’y a de reconnaissance, pour eux, que de la part des hétérosexuels. Une reconnaissance de <strong>le</strong>urs<br />

pairs n’aurait pas la même va<strong>le</strong>ur. Ces deux hommes existent bel et bien. Et ce n’est pas la première fois que<br />

j’essaie d’instaurer un dialogue avec l’un ou l’autre ou avec <strong>le</strong>s deux. Mais ils sont tel<strong>le</strong>ment persuadés d’avoir<br />

raison que cela tourne au dialogue de sourds.<br />

On a beau lutter contre l'homophobie dont sont victimes <strong>le</strong>s gais et <strong>le</strong>s <strong>le</strong>sbiennes, on oublie souvent qu'une<br />

partie de cette homophobie est intériorisée et qu'el<strong>le</strong> est portée par <strong>le</strong>s gais eux-mêmes. Les conservateurs ne<br />

sont pas seu<strong>le</strong>ment à Ottawa dans <strong>le</strong> gouvernement Harper, ils sont aussi parmi nous.<br />

Je me relis, je n’ai pas utilisé de mots crus, je n’ai pas parlé de cul, de masturbation, de dildos; mes deux<br />

«amis» vont être contents de voir qu’il y a moins d’âneries dans mes propos. q Denis-Daniel BOULLÉ<br />

: ddboul<strong>le</strong>@fugues.com<br />

8 <strong>Fugues</strong>.com JUIN 2011<br />

ù PHOTO ROBERT LALIBERTÉ

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