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CONTRE L'E.D.N. - La Guerre de la liberté

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13 <strong>L'E</strong>.d.N. et son temps<br />

différents, on remarquera que, sur ce point, le<br />

raisonnement «.encyclopédiste.» peut rejoindre le<br />

citoyennisme.<br />

<strong>La</strong> question primordiale pour le mouvement<br />

révolutionnaire aux len<strong>de</strong>mains <strong>de</strong> 1968 n’était donc<br />

pas l’évacuation pure et simple <strong>de</strong> <strong>la</strong> question<br />

ouvrière, du marxisme, <strong>de</strong>s vieilles théories<br />

prolétariennes <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution, encore moins d’une<br />

Raison jugée trop oppressante et faisant le jeu <strong>de</strong> tous<br />

les pouvoirs, ni même <strong>de</strong> <strong>la</strong> conception <strong>de</strong> progrès<br />

historique, mais bel et bien l’articu<strong>la</strong>tion entre<br />

anciennes et nouvelles luttes dans un mouvement plus<br />

général, et cette question, n’en dép<strong>la</strong>ise à l’E.d.N.,<br />

était bel et bien posée dans les débats <strong>de</strong> 1968 et <strong>de</strong>s<br />

années qui suivirent. Qu’elle ne fut pas résolue, et<br />

l’histoire <strong>de</strong>s luttes <strong>de</strong>s années 70 le prouve, voilà un<br />

point sur lequel l’E.d.N., si férue <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s leçons<br />

historiques, aurait pu se pencher. Certes, cette<br />

résolution ne pouvait être ni les «.conseils autonomes<br />

<strong>de</strong> travailleurs.», ni le «.pouvoir étudiant.», ni <strong>la</strong><br />

«.révolution culturelle.», mais on ne voit pas non plus<br />

comment <strong>la</strong> seule présence <strong>de</strong> «.révolutionnaires<br />

avancés.» sur «.le terrain <strong>de</strong>s luttes particulières.»<br />

aurait rendu possible à elle seule une telle résolution,<br />

encore moins pourquoi celle-ci aurait dû se traduire<br />

en un front commun <strong>de</strong> défense <strong>de</strong>s «.bonnes vieilles<br />

valeurs.».! Il faut dire que l’I.S., en 1972, avait cru<br />

trouver <strong>la</strong> solution en proc<strong>la</strong>mant le mot d’ordre, au<br />

fond très abstrait, <strong>de</strong> «.l’exigence <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.».<br />

L’E.d.N., en 1984, n’en a guère dit plus et a même été<br />

en <strong>de</strong>çà <strong>de</strong> ce qui était alors sous-entendu dans ce<br />

slogan. Finalement, l’échec <strong>de</strong> 68 reste, pour <strong>la</strong><br />

conscience situationniste et ceux qui s’en réc<strong>la</strong>ment<br />

les héritiers, très mystérieux.<br />

Autrement plus judicieux et instructif aurait été <strong>de</strong><br />

concentrer <strong>la</strong> réflexion critique sur les réelles<br />

faiblesses du mouvement révolutionnaire naissant<br />

dont <strong>la</strong> principale, et non <strong>la</strong> moindre, pouvait se<br />

trouver dans cette impasse politique menant à <strong>de</strong>s<br />

expériences toujours plus singulières qui caractérisa <strong>la</strong><br />

gran<strong>de</strong> partie «.<strong>de</strong>s nouveaux mouvements sociaux.».<br />

On aurait vu ainsi que les causes <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

«.récupération.» ne venaient pas tant <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong><br />

changer totalement et radicalement le mon<strong>de</strong> et <strong>la</strong> vie,<br />

que <strong>de</strong> l’incapacité à traduire cette volonté<br />

pratiquement en une nouvelle politique révolutionnaire.<br />

Le mouvement <strong>de</strong> Mai 68, qui se déclencha à<br />

partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolte étudiante (mais dont les causes<br />

profon<strong>de</strong>s doivent être cherchées au-<strong>de</strong>là, dans <strong>la</strong><br />

contestation éparse <strong>de</strong> <strong>la</strong> «.société <strong>de</strong> consommation.»)<br />

et qui réussit à ébranler temporairement le<br />

pouvoir politique en p<strong>la</strong>ce, en paralysant l’activité<br />

sociale «.ordinaire.» par le biais d’une importante<br />

grève générale, était en effet apparu comme un<br />

véritable coup <strong>de</strong> tonnerre, mais disparut tout aussi<br />

vite que l’éc<strong>la</strong>ir. Jamais l’État ne s’était disloqué aussi<br />

rapi<strong>de</strong>ment, et jamais ne se reconstitua-t-il, face à une<br />

contestation généralisée, avec autant <strong>de</strong> facilité. Ce<br />

qui s’ensuivit n’eut plus guère l’allure que <strong>de</strong><br />

quelques escarmouches contre l’immensité titanique<br />

du plus froid <strong>de</strong>s monstres froids. Si <strong>la</strong> spontanéité,<br />

l’effet <strong>de</strong> surprise, <strong>la</strong> remise en question généralisée<br />

<strong>de</strong> tout avaient pu constituer <strong>la</strong> force du mouvement<br />

<strong>de</strong> 68, tout ce<strong>la</strong> cependant <strong>de</strong>vint vite un inconvénient<br />

majeur dans le jeu <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution, ne serait-ce que<br />

dans l’affrontement avec un pouvoir organisé qui, une<br />

fois reconnu le danger, trouvait un adversaire, certes<br />

fortement agité, mais nullement menaçant. Les<br />

manifestations pourraient continuer <strong>de</strong> passer <strong>de</strong>vant<br />

l’Assemblée nationale sans s’arrêter et les<br />

révolutionnaires s’épuiser dans leurs diatribes à<br />

Charléty, en Sorbonne, à Bil<strong>la</strong>ncourt et ailleurs.; tant<br />

qu’un contre-pouvoir ne s’instaurait pas et<br />

revendiquait <strong>la</strong> disparition du pouvoir en p<strong>la</strong>ce, ce<br />

<strong>de</strong>rnier pouvait couler <strong>de</strong>s jours tranquilles et<br />

effectuer sans problème majeur les opérations <strong>de</strong><br />

retour à l’ordre 33 . C’est seulement en ce sens qu’on<br />

peut affirmer que le mouvement <strong>de</strong> 68 était utopique,<br />

c’est-à-dire qu’il exprimait le désir radical d’une autre<br />

société, mais il ne faisait que l’exprimer. Non pas que<br />

ce désir était proprement irréalisable ou nécessairement<br />

voué à se satisfaire d’un renoncement à <strong>la</strong><br />

«.prétention.» révolutionnaire et d’une adhésion au<br />

conformisme actuel. C’est proprement <strong>la</strong> croyance en<br />

une révolution spontanée, sans projet, qui ferait<br />

s’évaporer l’ordre ancien par le seul fait qu’elle le<br />

désire, qui a conduit ce qu’il y avait <strong>de</strong> plus vivant et<br />

<strong>de</strong> plus neuf en 68 à son intégration comme<br />

«.révolution <strong>de</strong>s mœurs 34 .», qui a conduit à<br />

[33] Cet aspect problématique du mouvement <strong>de</strong> 68 avait déjà été saisi<br />

par d’autres que nous, dès 68 même. Voir, par exemple, cette réflexion<br />

<strong>de</strong> Castoriadis dans son article «.<strong>La</strong> révolution anticipée.», dans<br />

l’ouvrage Mai 68.: <strong>la</strong> brèche.: «.Les étudiants révolutionnaires sentent<br />

une antinomie entre l’action et <strong>la</strong> réflexion.; entre <strong>la</strong> spontanéité et<br />

l’organisation.; entre <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> l’acte et <strong>la</strong> cohérence du discours.;<br />

entre l’imagination et le projet. C’est <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong> cette antinomie<br />

qui motive, consciemment ou non, leur hésitation.<br />

«.Elle est nourrie par toute l’expérience précé<strong>de</strong>nte. Comme d’autres<br />

per<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s décennies, ils ont vu dans quelques mois ou semaines <strong>la</strong><br />

réflexion <strong>de</strong>venir dogme stérile et stérilisant.; l’organisation <strong>de</strong>venir<br />

bureaucratie ou routine inanimée.; le discours se transformer en moulin<br />

en paroles mystifiées et mystificatrices.; le projet dégénérer en<br />

programme rigi<strong>de</strong> et stéréotypé. Ces carcans, ils les ont fait éc<strong>la</strong>ter par<br />

leurs actes, leur audace, leur refus <strong>de</strong>s thèses et <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>tes-formes, leur<br />

collectivisation spontanée.<br />

[34] Malgré son échec politique, Mai 68 aurait trouvé sa victoire dans<br />

le profond bouleversement <strong>de</strong>s mœurs et <strong>de</strong>s mentalités.: éc<strong>la</strong>tement <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> famille, reconnaissance <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong>s femmes, <strong>de</strong> l’homosexualité,<br />

<strong>de</strong> l’amour libre, etc. Mais il s’agit plutôt d’une illustration <strong>de</strong> sa<br />

défaite, non dans le fait qu’un ancien ordre moral s’est effondré, que<br />

beaucoup aujourd’hui semblent regretter, mais dans <strong>la</strong> mesure où cette<br />

modification a renforcé le processus <strong>de</strong> privatisation <strong>de</strong> l’homme<br />

mo<strong>de</strong>rne et éloigné celui-ci <strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie publique. Cette<br />

«.révolution <strong>de</strong>s mœurs.» s’accomplissait <strong>de</strong> toute façon dès avant<br />

1968 par l’instauration d’une société <strong>de</strong> consommateurs. <strong>La</strong> <strong>liberté</strong> <strong>de</strong>s<br />

mœurs, réc<strong>la</strong>mée en 1968, ne correspondait en aucun cas avec les<br />

exigences du conformisme contemporain qui réc<strong>la</strong>me cette <strong>liberté</strong><br />

individuelle pour étendre le champ <strong>de</strong> <strong>la</strong> consommation.

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