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CONTRE L'E.D.N. - La Guerre de la liberté

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15 <strong>L'E</strong>.d.N. et son temps<br />

liaison avec lui, autour d’une critique centrale <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

totalité sociale qui prenne en compte le mon<strong>de</strong> du<br />

travail et <strong>de</strong> <strong>la</strong> production. Le mouvement issu <strong>de</strong><br />

1968, morcelé en <strong>de</strong> multiples luttes «.partielles.» ou<br />

«.particulières.», n’aura jamais constitué <strong>de</strong> «.totalité<br />

vivante 39 .» et c’est une mystification <strong>de</strong> prétendre le<br />

contraire, mystification ayant pour but <strong>de</strong> camoufler<br />

les impasses dans lesquelles le «.parcel<strong>la</strong>ire.» avait<br />

conduit tant d’individus et <strong>de</strong> groupes, <strong>de</strong>s féministes<br />

aux écologistes en passant par les autonomistes, les<br />

partisans d’une révolution essentiellement culturelle,<br />

ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution sexuelle 40 , etc.<br />

Ainsi, pour l’E.d.N., «.sauver le possible […]<br />

contenu.» dans Mai 68 se résume à ne tirer aucune<br />

véritable leçon historique et à présenter les faiblesses<br />

du nouveau mouvement révolutionnaire comme ses<br />

principaux acquis.; et pour cause, elle est le produit<br />

<strong>de</strong> ces faiblesses. Comme les gauchistes soixantehuitards<br />

qu’elle prétend dénoncer.– mais tous les<br />

gauchistes se <strong>la</strong>ncent mutuellement <strong>la</strong> pierre.–, elle<br />

pleurniche sur «.<strong>la</strong> disparition <strong>de</strong> l’ancien mouvement<br />

ouvrier, écrasé ou intégré.». Elle regrette que «.les<br />

partisans d’un programme <strong>de</strong> subversion totale.»<br />

n’aient pas rejoint les quelques luttes ouvrières où<br />

apparaissaient un courant autonome, sans se rendre<br />

compte qu’elle répète ici cette «.i<strong>de</strong>ntification<br />

abstraite au prolétariat.». Et comme ce genre <strong>de</strong><br />

révolution ne lui a pas été servie comme sur un<br />

p<strong>la</strong>teau, elle se réfugie dans les mythes politiques <strong>de</strong><br />

rechange.: <strong>la</strong> transformation <strong>de</strong> <strong>la</strong> société par le retour<br />

idéaliste à <strong>la</strong> nature ou l’attente millénariste du grand<br />

chambar<strong>de</strong>ment. Elle ne perçoit rien du caractère<br />

mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> 68, ni <strong>de</strong> ses suites, car son rapport à<br />

l’histoire <strong>de</strong>s révolutions proches ou lointaines se<br />

réduit à celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> contemp<strong>la</strong>tion résignée. Elle ne<br />

peut donc rien en saisir pour les révolutions à venir et<br />

pour les tâches pratiques qu’elles auraient à<br />

accomplir. Elle n’est donc pas apparue en 1984-1985<br />

pour trouver un «.nouveau départ <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution.»<br />

mais pour fustiger ceux qui voudraient «.refaire 68.»,<br />

c’est-à-dire ceux qui ne manqueraient pas <strong>de</strong> mettre<br />

au rancart les prétendus héritiers <strong>de</strong> 68 qui se<br />

vou<strong>la</strong>ient, en plus, propriétaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> critique sociale.<br />

***<br />

On peut en convenir.: l’E.d.N. est apparue dans un<br />

contexte historique peu favorable à <strong>la</strong> critique<br />

révolutionnaire. De <strong>la</strong> décomposition du mouvement<br />

<strong>de</strong>s «.années 68.» à l’absence <strong>de</strong> tout mouvement <strong>de</strong><br />

contestation sociale équivalent, tout concourait, dès<br />

[39] «.Histoire <strong>de</strong> dix ans.».<br />

[40] Nous parlons ici <strong>de</strong>s impasses d’ordre politique, et non d’une<br />

façon absolue. Réévaluer ces différentes revendications «.parcel<strong>la</strong>ires.»<br />

n’est pas prôner un retour à l’ordre moral.; nous le savons, <strong>de</strong> toute<br />

façon, dans l’ordre actuel <strong>de</strong>s choses, celles-ci <strong>de</strong>meurent insatisfaites et<br />

détournées <strong>de</strong> leur objectif premier <strong>de</strong> changer <strong>la</strong> vie réellement.<br />

les années 1980, à l’entretien d’un scepticisme<br />

profond quant aux chances d’un quelconque retour<br />

d’une révolution. Aussi les multiples remarques <strong>de</strong><br />

l’E.d.N. sur l’apathie <strong>de</strong> ses contemporains, sur leur<br />

désintérêt extrême pour <strong>la</strong> critique sociale («.l’idée<br />

d’une émancipation ne signifie plus rien pour<br />

l’immense majorité 41 .»), semblent parfaitement<br />

justifiées, d’autant plus qu’elles accompagnent une<br />

dénonciation <strong>de</strong> l’ordre.– ou du désordre.– actuel <strong>de</strong>s<br />

choses comme étant proprement inhumain. Cependant,<br />

le discours <strong>de</strong> l’E.d.N. sur son temps ne dépasse<br />

guère, en ce sens, les divers discours, <strong>de</strong>venus<br />

aujourd’hui familiers, qui glosent <strong>de</strong> façon désolée sur<br />

«.<strong>la</strong> condition post-mo<strong>de</strong>rne.», sur <strong>la</strong> perte généralisée<br />

du sens dans l’histoire, sur l’impossibilité radicale<br />

d’une transformation révolutionnaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> société.<br />

Ainsi, <strong>la</strong> participation critique <strong>de</strong> l’E.d.N. à son temps<br />

n’est-elle qu’apparente, car <strong>la</strong> pierre angu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong><br />

toute sa construction soi-disant théorique, qui consiste<br />

à justifier, dans un premier temps, le pru<strong>de</strong>nt report,<br />

puis l’abandon pur et simple d’une perspective<br />

révolutionnaire par le fait qu’un «.tournant historique.»<br />

l’aurait rendue inconcevable, se trouve être<br />

également celle <strong>de</strong> cette croyance désormais fort<br />

répandue «.qu’on en a fini avec cette inquiétante<br />

conception, qui avait dominé durant plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cent<br />

ans, selon <strong>la</strong>quelle une société pouvait être critiquable<br />

et transformable, réformée ou révolutionnée 42 .». Sans<br />

doute, l’E.d.N. ne se réfugie pas dans l’apologie du<br />

mon<strong>de</strong> existant et ne se p<strong>la</strong>ce pas dans <strong>la</strong> pure<br />

contemp<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> «.l’effondrement.» qu’elle évoque<br />

sans cesse. Cependant, elle escamote l’idée même <strong>de</strong><br />

révolution en lui substituant <strong>de</strong>s solutions pratiques à<br />

<strong>la</strong> petite semaine qui ne se démarquent guère <strong>de</strong>s<br />

conceptions éclectiques du post-mo<strong>de</strong>rnisme. Elle ne<br />

veut s’en tenir qu’à ce qui est.– son insistance à faire<br />

preuve <strong>de</strong> réalisme qui ressemble plutôt à un programmatisme.–<br />

et au possible, s’adressant uniquement aux<br />

individus, renvoyant toujours chacun à sa responsabilité<br />

personnelle, elle ne cherche qu’à empêcher<br />

que quelques vieilles réalités ne s’évanouissent dans<br />

<strong>la</strong> fuite éperdue du temps, au besoin faire resurgir une<br />

«.richesse humaine.» repêchée dans les sociétés du<br />

passé. Rien n’exprime mieux ce rapport étroit avec <strong>la</strong><br />

misère <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée dominante <strong>de</strong> notre temps que les<br />

propos récents <strong>de</strong> René Riesel, <strong>de</strong>venu le <strong>de</strong>rnier<br />

re<strong>la</strong>is <strong>de</strong> <strong>la</strong> pseudo-critique encyclopédiste. «.Je sais<br />

ce que je dois à Debord, nous explique-t-il fièrement,<br />

mais, plutôt que <strong>de</strong> le relire cent fois, je préfère<br />

observer le mon<strong>de</strong> tel qu’il est aujourd’hui 43 ..» Il lui<br />

aurait peut-être suffi <strong>de</strong> ne le lire qu’une fois, mais<br />

autrement, pour «.observer le mon<strong>de</strong> tel qu’il est.»<br />

d’un point <strong>de</strong> vue moins stérile que celui qui ne voit<br />

d’autre perspective pour <strong>la</strong> société présente.– mais<br />

[41] J. Semprun, Dialogues sur l’achèvement <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes.<br />

[42] G. Debord, Commentaires sur <strong>la</strong> société du spectacle.<br />

[43] Interview <strong>de</strong> R. Riesel, Libération du 3-4 février 2001.

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