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M - Institut français de l'éducation

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Î80 JOURNAL DES INSTITUTEURS ET DES INSTITUTRICES -P 10 dée. 3*<br />

| POUR LIRE EN CLASSE |<br />

L'Homme <strong>de</strong> neige,<br />

— Quel froid délicieux il fait aujourd'hui, dit<br />

l'Homme <strong>de</strong> neige I Tout mon corps en craque d'aise.<br />

Et ce vent du Nord I Je m'en sens agréablement<br />

transi. Il n'y a que cette grosse boule brillante qui<br />

m'ennuie, aiouta-t-il, désignant ainsi le soleil qui se<br />

couchait. Elle est toujours à me regar<strong>de</strong>r ; mais<br />

elle ne me fera pas baisser les yeux.<br />

Et. en effet, les <strong>de</strong>ux morceaux <strong>de</strong> charbon qu'il<br />

avait <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés du nez ne bougèrent pas ; il<br />

continua à montrer les <strong>de</strong>nts ; comme bouche, il<br />

avait les restes d'un vieux râteau.<br />

'<br />

Le soleil se coucha ; la pleine lune parut ; belle et<br />

claire, elle resplendissait au milieu du firmament<br />

bleu.<br />

— Voilà <strong>de</strong> nouveau la grosse boule, dit l'Homme<br />

<strong>de</strong> neige ; elle a passé par <strong>de</strong>rrière. Je lui ai appris<br />

à ne plus me regar<strong>de</strong>r si obstinément. Une chose<br />

pourtant me chiffonne. Cette boule stupi<strong>de</strong> sait se<br />

mouvoir dans l'espace, et moi, je ne puis Bhanger <strong>de</strong><br />

place.<br />

— Ouais ! ouais l aboya le vieux chien qui était<br />

à l'attache (il avait pris <strong>de</strong> l'enrouement <strong>de</strong>puis<br />

qu'il était relégué dans la cour, et il ne pouvait<br />

plus dire : ouahl ouah!). Ouais! Le soleil t'apprendra<br />

bien assez tôt à marcher, et même à courir.<br />

Tous les ans j'ai vu filer tes prédécesseurs : ouais,<br />

ouais I tous ils sont partis.<br />

— Je ne te comprends pas, camara<strong>de</strong>, dit<br />

l'Homme <strong>de</strong> neige. Ce serait cette boule, là-haut,<br />

qui me ferait partir, tandis que c'est moi, au contraire,<br />

qui l'ai fait filer doux, tantôt, quand elle<br />

me, fixait avec impu<strong>de</strong>nce ; elle a roulé un peu vite,<br />

et c'est en tapinois qu'elle est revenue par <strong>de</strong>rrière.<br />

— Comme on voit bien que tu es 3eune, dit le<br />

chien, quoi que tu aies une grosse pipe dans la<br />

bouche. Sache donc que la boule qui est là, sus-<br />

>endue au ciel, c'est la lune ; celle <strong>de</strong> tantôt, c'était<br />

Î e soleil. Il reviendra <strong>de</strong>main et, je t'en réponds,<br />

il finira par te faire dévaler dans le fossé. Tiens,<br />

ce sera peut-être pour bientôt ; car nous allons<br />

avoir quelque changement <strong>de</strong> temps, je le sens à ma<br />

jambe gauche <strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière ; cela me lance, cela me<br />

démange I Ouais I ouais I<br />

Le temps, en effet, changea. Vers le matin, toute<br />

la contrée était couverte d'un épais brouillard<br />

humi<strong>de</strong> ; puis survint un vent glacial ; la gelée<br />

redoubla.<br />

Lorsque le soleil se leva, quelle splen<strong>de</strong>ur 1 Tout<br />

étincelait et reluisait ; on aurait dit que la terre était<br />

'recouverte <strong>de</strong> poudre <strong>de</strong> diamants.<br />

— Quel magnifique spectacle 1 s'écria une Jeune<br />

fille qui se promenait avec un jeune homme, vraiment,<br />

en été, on ne voit pas <strong>de</strong> merveilles pareilles.<br />

— Et <strong>de</strong> plus, dit le jeune homme en désignant<br />

l'Homme <strong>de</strong> neige, on ne peut que se réjouir à la vue<br />

d'un gaillard comme celui-ci. Il ne lui manque<br />

qu'une chose, c'est que sa pipe soit allumée.<br />

La jeune fille se mit à rire et fit un salut en règle<br />

à l'Homme <strong>de</strong> neige. Puis l'aimable couple continua<br />

sa promena<strong>de</strong>.<br />

— Qui sont ces <strong>de</strong>ux personnages ? <strong>de</strong>manda<br />

l'Homme <strong>de</strong> neige au chien <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>. Ils n'ont pas<br />

ralrlméchant, mais je ne les trouve pas trop respectueux.<br />

Les connais-tu, toi qui es ici <strong>de</strong>puis si<br />

longtemps ?<br />

— Si je les connais 1 répondit le chien. Elle me<br />

caresse souvent, et lui m'a jeté plus d'une fois <strong>de</strong>s os<br />

succulents. C'est la <strong>de</strong>moiselle <strong>de</strong> la maison et son<br />

fiancé.<br />

-— Dis-moi, sont-ce <strong>de</strong>s gens comme toi et<br />

moi ?<br />

— Mon bon ami, répliqua l'animal, quelles sottes<br />

questions tu fais I Ils sont <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong>» maîtres,<br />

te dis-je. On ne connaît guère le mon<strong>de</strong>, quand<br />

est jeune comme toi. Moi, j'ai <strong>de</strong> l'âge et <strong>de</strong> 1'<br />

La reproduction et la traduction <strong>de</strong>s articles<br />

publications <strong>français</strong>es et étrangères qui n<br />

ri en ce, et je sais tout ce qui se passe dans la maison.<br />

Il fut un temps où je n'étais pas dans la cour, au<br />

froid, attaché à la chaîne. OuaisI ouais!<br />

— Quant au froid,, dit l'Homme dè neige, n'en<br />

dis pas dè mal ; c'est ce qu'il y a dè plus délicieux<br />

au mon<strong>de</strong>. La chaîne, je ne dis pas, elle ne doit pas<br />

être agréable. Mais raconte-moi donc un peu ta vie<br />

et tes aventures.<br />

— Ouais, ouais ! reprit le chien. Lorsque j'étais<br />

tout petit, ils me trouvaient tous gentil et mignon.<br />

Te restais là-haut avec les maîtres, dans les.plus<br />

beaux appartements, et les <strong>de</strong>moiselles m'époussetaient<br />

les pattes avec <strong>de</strong>s mouchoirs brodés. Voilà<br />

qu'un beau jour on déclara que je <strong>de</strong>venais .trop<br />

gros, trop pataud, et on me donna en ca<strong>de</strong>au à la<br />

femme <strong>de</strong> charge. Je vins <strong>de</strong>meurer dans le sous-sol;<br />

tiens, <strong>de</strong> là où tu es, tu peux voir le sous-sol à travers<br />

la fenêtre. Ce n'était pas aussi luxueux qu'au<br />

salon, mais je m'y trouvais bien mieux ; les eniants<br />

ne venaient pas sans cesse, comme là-haut, me<br />

tirailler, me mettre un bonnet dè nuit, et faire mille<br />

farces déplacées. J'avais mon coussin à moi, et il y<br />

avait un poêle, sous lequel je pouvais me glisser ;<br />

c'est là que j'ai passé les heures les plus douces <strong>de</strong><br />

mon existence. Souvent encore, je rêve <strong>de</strong> ce poêle.<br />

OuaisI ouais!<br />

—-Est-ce donc quelque chose <strong>de</strong> si beau, qu'un<br />

poêle ? interrompit l'Homme <strong>de</strong> neige. Cela a-t-il<br />

quelque ressemblance avec moi ?<br />

— C'est juste le contraire. Un poêle est noir<br />

comme un corbeau, et il a un long cou avec un<br />

cercle en cuivre. Et il. mange du bois, il en mange<br />

tant que le feu lui en sort par la bouche. Mais, du<br />

reste, tu n'as qu'à bien regar<strong>de</strong>r, tu l'apercevras,<br />

ce cher poêle <strong>de</strong> mes rêves;<br />

L'Homme <strong>de</strong> neige, en effet, distingua dans le<br />

sous-sol un objet poli, reluisant ; une vive lueur<br />

sortait <strong>de</strong> sa bouche. L'Homme <strong>de</strong> neige, à cette<br />

vue, se sentit tout drôle, moitié peur, moitié attraction.<br />

— Et pourquoi' l'as^tu quitté ? <strong>de</strong>manda-t-il.<br />

— Il me fallut bien m'en séparer, répondit le<br />

chien. Un jour, le plus jeune fus <strong>de</strong> la maison^<br />

un polisson, voulut m'enlever un os ; ma foi, je le<br />

mordis jusqu'au sang; H beugla tant, qu'on me mit<br />

en pénitence à l'attache, dans la cour. On m'y laissa<br />

<strong>de</strong>puis. C'est ici, au milieu, <strong>de</strong>s intempéries, que j'ai<br />

perdu ma belle voix. Je suis vieux et enroué ;<br />

mais, malgré tout, je ne changerais pas mon sort<br />

contre le tien. ' \<br />

Mais l'Homme <strong>de</strong> neige ne l'éeoutait plus <strong>de</strong>puis<br />

un bon moment ; il ne cessait <strong>de</strong> considérer le poêle<br />

qui, campé sur ses quatre pieds, était <strong>de</strong> la même<br />

hauteur que lui.<br />

— Que je voudrais bien pénétrer dans ce soussol,<br />

dit-il, et faire plus intime connaissance avec<br />

ce poêle ! Tout mon corps en craque d'envie !<br />

— Jamais tu n'entreras là, dit le chien, et c'est<br />

pour ton plus grand bien ; car, si tu approchais<br />

seulement du poêle, c'en serait fait <strong>de</strong> toi. Mais,<br />

quand on est jeune, on a <strong>de</strong>s désirs insensés. Ouais!<br />

ouais ! Et puis voilà encore le temps qui change ;<br />

c'est ma patte <strong>de</strong> droite, maintenant, où je sens <strong>de</strong>s<br />

élancements.<br />

Le len<strong>de</strong>main, en effet, le dégel arriva. Le froid<br />

diminua, et l'Homme <strong>de</strong> neige aussi; il déclinait;<br />

sa belle prestance se changeait en maigreur ; il ne<br />

se plaignait pas, cependant, et c'était là un fâcheux<br />

symptôme. Un matin, il s'affaissa sur lui-même.<br />

Que vit-on apparaître ? Un manche à balai I<br />

Et les mêmes enfants qui, en folâtrant, avaient<br />

fabriqué l'Homme <strong>de</strong> neige, vinrent sauter et danser<br />

en chantant :<br />

— Ohé, ohé, l'hiver a fui, vive le printemps !<br />

— Oui, vite ! Oui, vite I dit l'alouette.<br />

Le coucou chantait dans les bois :<br />

— Vive le printemps 1 vive le soleil !<br />

— Oui, vite ! Oui, vite I<br />

Aucun d'eux ne pensait plus à l'Homme <strong>de</strong> neige.<br />

D'après Andbrsen.<br />

(L'Homme <strong>de</strong> neige et autres contes,<br />

\ Librairie Garnier.)<br />

18 INSTITUTEURS sont interdites<br />

» aveo la Société <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> lettres. lettre: aux

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