Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

. 'LIBERA T!ON (S UITE)
mariages et prête l'argent de la dot,
remboursable en services et corvées.
Outre ses terres, il possède les
poids lourds qui exportent ses récoltes
dv lentilles et de coton ainsi
qu'une pompe à essence et des çamions-citernes.
Il a réussi à faire élire
son neveu à la mairie de Nusaybin, et
ce grâce au vote « unanime» des
paysans.
Cheveux gris, imposant dans un
complet de drap ocre, l'Agha habite,
dans le village de Kemina, la seule
maison pourvue d'électricité, grâce à
un générateur, et équipée d'un réfrigérateur
au gaz. Le soir, les hommes
viennent regarder télévision et vidéo
chez lui. Il a aussi financé la construction
d'une école, de la mosquée
et du dispensaire, où un médecin
vient faire des consultations deux fois
par mois .• C'est encore lui qui, comme
en atteste un certificat encadré
dans son salon, a versé une somme
substantielle aux œuvres sociales de
l'armée pour s'assurer les bonnes grâces
;des militaires. Bref, de la sécurité
à la terre qu'ils cultivent tant bien
que mal, les paysans lui doivent tout.
'Difficile de se révolter contre un
bienfaiteur aussi universel.
Pour les séparatistes, l'armée constitue
une véritable force d'occupation.
En ces temps d'attaque de postes
de gendarmerie par les rebelles, la
présence des militaires a encore été
renforcée. Ils sont postés aux entrées
et sorties de villes, contrôlent identités,
paquets, véhicules et même autobus.
L'autre grand symbole de la
« colonisation» c'est l'éducation, qui
interdit totalement l'usage de la langue
kurde (la Turquie ne reconnaît
pas les Kurdes). A Kemina, le préposé
à la culture turque est un jeune
homme de vingt-sept ans, nommé
d'office pour deux ans dans le cadre
d'un passage à l'Est imposé aux médecins
et aux instituteurs. Blondinet,
frêle, on ne pouvait pas envoyer
quelqu'un d'aussi étranger.à ces Kurdes
sQmbres et flll-mboyants. La prime
« Kurdistan» pour Ahmet, l'instituteur,
ne se monte qu'à 7,50 F par
mois pour un salaire de I 000 F.
APRES L'ECOLE, L'OUBLI
Parachuté sur une terre aussi différente,
Ahmet a commencé, pour se
rassurer, par peindre sur toute la
façade de l'école un grand portrait
d'Ataturk, le fondateur de la République
et pére de l'idée honnie par les
Kurdes qu'« est heureux celui qui
peut se dire turc I). Deux ans après,
l'instituteur hisse toujours le drapeau
national avant la classe, devant deux
rangées de petits tabliers noirs.
Mais, sur le plan scolaire, la « colonisation
» butte sur la misère et l'indifférence.
« Les enfants viennent à
l'école parce que c'est obligatoire.
Sinon, ils s'en fichent. Ils n'auront
Jamais besoin de savoir le turc», se
désespère Ahmet. Après cinq :fs,
lorsqu'ils sont capables de lire et de
parler le' turc, l'école est finie et
commence l'oubli. « Depuis l'ouverture
de la classe, aucun enfant n'a
poursuivi au-delà du primaire I). Bien
que beaueoup de villages possèdent
désormais une école, le taux d'analphabétisme
s'élève encore, au Kurdistan,
à plus de 70 070.
Ecrasés par la misère et l'ignorance,
infantilisés par leur Agha, les
paysans formulent généralement des
revendications simples: la terre,
l'eau, le travail. Le séparatisme,
anéanti par l'armée, est devenu un
combat d'exilé ou de clandestin.
Mais, malgré l'armée, la répression et
les interdits, la grande affirmation de
l'identité kurde reste intacte, imperturbablement
présente. Aussi irréductible
et séculaire que le coucher de
soleil sur la poussière de Nusaybin.
Corinne TAOR
I
~
I
18.10.1984
RATISSAGE
'année turque s'apprête
«à casser du Kurde» en Irak
Empêtré dans sa guerre contre l'Iran, l'Irak vient de. conclure un accord avec'
la Turquie pour que celle-ci détruise les « sanctuaires » kurdes sur son territoire.
O
pérallon Soleil»: une
« nouvelle fOIS, les Kurdes
sont sur le pomt de passer
un mauvais quart d'heure. Le long de
la frontière Irakienne, des troupes
turques sont massées « en grand
nombre» et s'apprêtent, avec l'accord
des autorités de Bagdad, à fran.
chlr le Rubicon pour lancer une vaste
action de « ratissage)} dans la zone
montagneuse du Sud.est de l'Anatolie
où les peshmergas (combattants kurdes)
appartenant au parti des
travailleurs kurdes (PKK, principoale
organisation de TurqUie) ont trouvé
refuge auprès de leurs frères du parti
démocratique du Kurdistan (PDK,
implanté en Irak). PlUSieurs actIons
auraient déjà été lancées, préludant à
1'« Opération Soleil» proprement
dite, qui paraîssait imminente hier
après-midi. Les autorités militaires
turques maintiennent le secret sur
leur offensive, sa durée ainsi que les
forces engagées. Selon la presse
turque, qui cite les services secrets de
l'armée, l'action doit couvrir un
territoire de 120 kms de long sur IS
kms de profondeur. Un porte-parole
de Massoud Barazani, chef du PDK,
a affirmé hier à l'AFP que son
mouvement « se préparait à faire
face».
Le lancement de cette opération soleil est imminent.
•Hier après-midi, deva~t~' Asse~-<
blée nationale, le Premie rministre
turc, Turgut Ozal, confirmall qu'un
accord avait été conclu avec l'Irak
pour une « action coordonnée » contre
les rebelles kurdes. Il n'a donné
aucune précision sur les modalités de
cet accord, soulignant seulement que
les rebelles ont, au cours de raids
lancés 'depuis le IS août dernier en
Anatolie orientale, tué 18 membres
des forces armées turques. Il a ajouté
que 10 « terroristes » avaient:été tués
de deux autres blessés. Actifs depuis
deux mois dans le Sud-est de la
Turquie, les maquisards auraient,
selon le Premier ministre, subi un entraînement
militaire dans des camps
palestiniens au Liban et en Syne
« aux côtés d'autres groupes
terronstes dont /'ASALA (arménienne),
les Bngades rouges (italiennes) et
la Fraction armée rouge (ouestallemande)
I). Turgut Ozal a enfin
déploré la poursuite de la guerre entre
l'Iran et l'Irak qui interdit à ces
deux pays d'exercer totalement leur
« autorité)} dans les régions frontalières
à population kurde. Voici
pourquoi Ankara a décidé, avec la
bénédiction de Bagdad, de porter Je
fer dans le «sanctuaire» kurde en
Irak.
Ce rebondissement du conflit
souligne encore, s'il en était besoin,
l'absence de solution à la « question
kurde I). Dispersés dans cins pays (la
Turquie, l'Irak, l'Iran, la Syrie et
l'URSS), les Kurdes sont un peuple
de 20 millions d'âmes disposant
d'une langue, d'une culture et de
tradition plus que millénaires.
Après l'échec de la « République du
Kurdistan », fondée en 1946 en Iran
par des Kurdes irakiens, la rebellion,
conduite en Irak de 1950 à 1975 par
le général Moustapha Barazam, a
fini par être noyée dans le sang.
Depuis, la dispersion des Kurdes, leur
division et l'absence d'une assise
territoriale indépendante les a empêchés
de reprendre avec efficacité
leur combat. Ceci, jusqu'à l'activation
de la lutte en territoire turc,
favorisée par la guerre Irak-Ir~n.
En mai 1983, les troupes d'Ankara
avaient déjà pénétré' en Irak pour une
opération contre les indépendantIstes
kurdes réfugiés au-delà de la frontière.
Aujourd'hui, et depuis plusieurs
semaines, les chefs militaires turcs
exigent à nouveau l'extension des
opérations militaires en territoire
irakien. Avec 1'« Opération Soleil )}.
c'est chose faile: Les camps du PDK
d.'Irak devraient constituer la prin-
CI pale cible de l'offensive. Selon la
presse turque, quelque 500 militants
du PKK de Turquie ont trouvé refuge
dans ces camps, qui abritent par
aIlleurs des milliers de peshmergas
appartenant au PDK. En marge de.
l'accord avec Bagdad, les autorités
turques auraient lancé un avertissement
à ce dernier parti. Le PDK
de Masso.ud Barazani aurait été
menacé de destruction totale « s'il ne
lâchait pas les séparaflstes du PKK I).
Si le PDK ne se soumellait pas, l'accord
irako-turc serait à avantages
réciproques: l'armée turque s'emploiera
à «détruire» «ses »
séparatistes, tout en frappant .:eux de
Bagdad.
Devant l'Assemblée nationale, le
Premier ministre turc a ajouté qu'un
accord semblable à celui signé avec
IIrak allait prochainement être conclu
avec Téhéran les régions frontalières
de l'Iran constituant un second lieu
de refuge des rebelles kurdes opérant
en Turquie. Pourtant, l'union sacrée
de ceux qui ont un Etat contre ceux ,
qui n'en ont pas semble peu
probable. Les dirigeants Iraniens
avaient violemment critiqué l'offensive
de mai 1983 lancée en Irak par
les troupes turques, en la présentant.
comme une aide directe d'Ankara au