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Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

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~ crottes <strong>de</strong> mouton.<br />

Nous sommes dans la pièce la plus<br />

chau<strong>de</strong>,<br />

lage.<br />

la plus confortable du vil-<br />

Une vingtaine d'hommes y pénètrent<br />

alors <strong>et</strong> s'asseoient en face <strong>de</strong><br />

nous. Certains d'entre eux fument<br />

<strong>de</strong>s cigar<strong>et</strong>tes. D'autres font glisser<br />

entre leurs doigts un p<strong>et</strong>it chapel<strong>et</strong>.<br />

Tous nous regar<strong>de</strong>nt. Tous se taisent.<br />

Ce silence durera près d'un quart<br />

d'heure.<br />

Le corps <strong>de</strong> Kemal a été gardé à<br />

l'aéroport par les militaires mais son<br />

souvenir nous revient en plein cœur,<br />

durant ce long silence d'accueil <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

, recueillement.<br />

Enfin, passé ce temps suspendu,<br />

chacun commence peu à peu à parler<br />

<strong>et</strong> apprendre l'autre. Des mots, <strong>de</strong>s<br />

sourires, qui prendront fin à <strong>de</strong>ux<br />

heures du matm.<br />

Trois heures après, lundi 19<br />

novembre à cinq heures du matin, le<br />

jour se lève avec nous.<br />

-LE<br />

REPORTAGE DEJEAN SANTON EN TURQUIE<br />

Fillage .. "•<br />

•"rveillallee<br />

Du pas <strong>de</strong> la porte <strong>de</strong> notre chambre<br />

nous apercevons un camion militaire<br />

qui, à 200 mètres <strong>de</strong> nous, est<br />

remplis <strong>de</strong> soldats qui ont surveillé<br />

toute la nuit les allées <strong>et</strong> venues. Ici<br />

pas d'eau, pas d'électricité, pas<br />

d'arbres <strong>et</strong>, un peu plus loin, <strong>de</strong> la<br />

neige sur les rochers.<br />

Un paysage lunaire. Il y a l'école<br />

ou Kemal est allé jusqu'à douze ans.<br />

A côté, bâtie avec <strong>de</strong>s pierres, la<br />

« maison où les femmes accouchent<br />

Il. Sur le flanc <strong>de</strong> la montagne<br />

pelée, trois autres bâtisses abritent<br />

les villageois qui, déjà, se divisent<br />

entre femmes <strong>et</strong> hommes.<br />

Dans le p<strong>et</strong>it cim<strong>et</strong>ière dont trois<br />

tombes seulement possè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s stèles,<br />

un trou s'apprête à recevoir le<br />

corps <strong>de</strong> Kemal.<br />

A côté, <strong>de</strong>s pierres blanches, disoosées<br />

en losange sur l'herbe <strong>de</strong>sséêhée,<br />

marquent l'emplacement <strong>de</strong><br />

morts dues à la répression.<br />

Ce sont ces mêmes pierres blanches<br />

que les militaires ont trouvéesdans<br />

le camion qu'ils avaient laissé<br />

une nuit entière dans le village, peu<br />

après le coups d'Etat, en exigeant<br />

qu'il soit rempli <strong>de</strong>s armes qui y était<br />

cachées. Ici, tous les villages ont<br />

rempli ces camions <strong>de</strong> pierres.<br />

En contrebas nous discernons<br />

l'école <strong>de</strong> Kurecik. C'est ici que tous<br />

les trois mois <strong>de</strong>s enfants, <strong>de</strong>s hommes<br />

<strong>de</strong> la région sont rassemblés par<br />

les militaires <strong>et</strong> torturés.<br />

Les soldats, les moutons <strong>et</strong> surtout<br />

les villageois sont sur ces montagnes,<br />

à I.SOOm d'allitu<strong>de</strong>, les seules<br />

choses qui bougent.<br />

Toutes les trois s'animent encore<br />

plus lorsque, dans un fourgon militaire,<br />

le corps <strong>de</strong> Kemal arrive au village,<br />

ce lundi 19 novembre à 11 heures<br />

du matin.<br />

A pied le plus souvent, mais aussi<br />

sur <strong>de</strong>s mul<strong>et</strong>s, <strong>de</strong>s ânes, <strong>de</strong>s charr<strong>et</strong>tes,<br />

près <strong>de</strong> 800 personnes sont<br />

venues <strong>de</strong>s quatre points cardinaux.<br />

Tous se précipitent, tous portent le<br />

cèrcueil recouvert <strong>de</strong> toile <strong>de</strong> jute<br />

brune. Mehm<strong>et</strong> est au milieu <strong>de</strong>s cris<br />

Ii. la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> la CGT quatre<br />

Frllnçals ont suivi Mehm<strong>et</strong>, le frère<br />

<strong>de</strong> Kemal. <strong>et</strong> son coualn, Asian,<br />

pour observer <strong>et</strong> témoigner du<br />

déroulement <strong>de</strong>s obsèquee. Il<br />

s'agll <strong>de</strong> Anne Bruslon <strong>de</strong> la ligue<br />

<strong>de</strong>s drolls' <strong>de</strong> "homme, Evelyne<br />

Mayer-MlnvlIIe <strong>de</strong> l'Aasoclation<br />

<strong>de</strong>s juristes démocrates, <strong>de</strong> Jean<br />

Benoll, collaborateur du Journal<br />

• le Mon<strong>de</strong> t, <strong>et</strong> Jean Santon, journaliste<br />

<strong>de</strong>. l'Humanllé t.<br />

,'.<br />

Un enterrement sous la menace<br />

<strong>de</strong>s milrail1elles<br />

Kemal Ozgül repose dans son village natal au Kurdistan<br />

Celteplloto, ttt prise tl",<strong>de</strong>stiDement,/e 19 Do.tmbrr Il 11 b 15, lors <strong>de</strong>s ob~ques dt Xemnl Ozglll. d.DSso, .iIIlgt<br />

IIt,1 du Kurdlsl'D, dlls l'est <strong>de</strong>I. Turqult. AIt <strong>de</strong> .iDgt'DS,tn.,illtur immigff. '$S,mllt d'liS l'tlltTtpriR Pirlull Il<br />

Ep"Deœ.eUllu), Kem,l. ttt eDtem SODSl' mtll,te du lIlitrlillmes. P'Tmi les .1I1,geoistll <strong>de</strong>uil. qu,tTt FrllI(lis.<br />

IlIlIt le,. 5.//tIlD, loum,liste <strong>de</strong> « l'HulI/lII/1t ». Ils OlltartOll/p,gllt Mtbmtt. le Irrrr Ile Xe.li. "i ruu.lille<br />

torps duoo Irrte d,os SODP'fS. (Paae 11.)<br />

el <strong>de</strong>s pleurs <strong>de</strong> femmes qui le frappenl<br />

la poitrine <strong>et</strong> la lêle couverte<br />

d'un foulard. Les lannes ne cessenl<br />

<strong>de</strong> ruisseler sur les joues. Chacun<br />

cherche à loucher mamlenanlle bois<br />

du cercueil. L'émotion est inlense<br />

el ... dangereuse.<br />

".•.. Ida'.<br />

.",I••,._b ••<br />

En lenue <strong>de</strong> combal, couteau à la<br />

ceinture, bér<strong>et</strong> bleu el arme poinlée<br />

sur la foule, une vingtaine d'hommes<br />

nous encerclent. Ils interdisent tout<br />

mouvement vers les maisons.<br />

La cérémonie doit avoir lieu en terrain<br />

découvert. Une Irentaine <strong>de</strong> mililaires<br />

en kaki, mitraill<strong>et</strong>te au poing,<br />

suivent l'opération <strong>de</strong> près. Les gradés<br />

ricanent. Ils comptent le temps el<br />

bousculenl, pressenl la foule pour<br />

qu'elle rejoigne le pelit cim<strong>et</strong>ière. Les<br />

femmes s'agrippent aux molles <strong>de</strong><br />

lerre qu'il a fallu enlever pour faire la<br />

place au corps <strong>de</strong> Kemal. Les hommes<br />

accomplissent à genoux les rites coutumiers.<br />

Ils onl à peine le temps<br />

d'ouvrir le cercueil -<strong>et</strong> d'y 'déposer<br />

<strong>de</strong>ux draps blancs.<br />

'<br />

Mehm<strong>et</strong> esl fou <strong>de</strong> douleur,<br />

enlrainé, presque porlé par la foule,<br />

qui crie sa peine lorsque trois femmes<br />

posent sur le cercueil <strong>de</strong>ux autres<br />

courverlures, les plus belles du village.<br />

Les fusils pointés, les militaires rienl<br />

sans r<strong>et</strong>enue. La police photographie<br />

tous les présenls. Les chauffeurs <strong>de</strong>s<br />

camions klaxonnenl impudiquement<br />

pour faire accélérer ces obsèques qui<br />

les gênent.<br />

Kemal esl cependant enterré, par les<br />

siens, avec les siens. Il est, <strong>de</strong>puis le<br />

coup d'Elal, le premier réfugié politique<br />

assassiné qui a pu être enterré<br />

dans son pays. Des femmes s'éloignenl<br />

pour préparer le repas mortuaire,<br />

les villageois défilent <strong>de</strong>vant la<br />

famille pour serrer les mains, mais<br />

soudain <strong>de</strong>s militaires nous arrêtent<br />

ainsi que Mehm<strong>et</strong> en larmes <strong>et</strong> son<br />

cousin.<br />

Des centaines d 'yeux nous voient<br />

obligés <strong>de</strong> nous tasser à sept dans une<br />

voiture <strong>et</strong>, encadrés par <strong>de</strong>ux véhicules<br />

militaires, les mitraill<strong>et</strong>tes pointées sur<br />

nous, partir raoi<strong>de</strong>ment du village.<br />

Pendant ce nouveau traj<strong>et</strong> à Iravers ce •<br />

bout du mon<strong>de</strong>, Mehm<strong>et</strong>, une fois r<br />

encore, oublie ses larmes pour <strong>de</strong>venir.<br />

blême. Dans les bureaux du quatrième<br />

étage du centre régional <strong>de</strong> la police, à<br />

Malatya, Mehm<strong>et</strong> n'a pas élé lorluré<br />

physiquement. Il l'a élé mentalement.<br />

Je n'ai jamais vu un homme aussi<br />

Dlx-hull ouvrlera turcs <strong>de</strong> l'enireprise<br />

Plraull à Ep6ne (Yvelines), où<br />

Kemal a élé assassiné le 10 novembre<br />

1984, anI adhéré au Parti communiste<br />

français.<br />

la cellule se nomme Kemal-OzgQI.<br />

livi<strong>de</strong>. A s'en cogner contre les murs.<br />

Ils ont interrompu, pour lui, l'enterrement<br />

<strong>de</strong> son frère. Ils l'onl humilié<br />

profondément. Son visage est sans<br />

couleur avec juste <strong>de</strong>ux poinls rouges<br />

à la place <strong>de</strong>s yeux. Le faciès du directeur<br />

général <strong>de</strong> la police qui nous<br />

interroge est, lui, remplie <strong>de</strong> joie.<br />

Pourquoi êtes-vous là 7 Qui vous a<br />

reçu 7 Où, dan~ quelle famille avezvous<br />

dormi 7 Que voulez-vous faire 7<br />

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