Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris
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28. 11.1984<br />
LES OBSËQUES DE KEMAL ÖZGUL EN TURQUIE<br />
Os étaient prêts<br />
à lirer sur le mort<br />
<strong>et</strong> sa famille !<br />
Nous avons suivi le périple odieux qu'a'dû franchir<br />
à travers le pays soumis à la dictature; Mehm<strong>et</strong><br />
'Qui voùlait enterrer son frère, dans leur village natal<br />
, .<br />
F,leportage <strong>de</strong> Jean SANTON<br />
C'est d/lns ce trou, IIUn/lnc <strong>de</strong> III mon//lgne, que Kemlll OZIOI, ou.rler <strong>de</strong><br />
10/lns, membrr du "CF, <strong>de</strong> IIICGT <strong>et</strong> IIsslltilnr pllr un .1,lIe <strong>de</strong> l'entrrprlse<br />
"'nlult" Ep6ne (r.ellnes), est entem <strong>de</strong>puis le 19no.embrr 1984.<br />
DE Kemal, dans l'a~ro,<br />
port, on ne voit plus<br />
que son portrait que<br />
Mehm<strong>et</strong> brandit <strong>de</strong>vant<br />
lui, comme le veut la<br />
tradition. Une dizaine <strong>de</strong> militaires<br />
en tenue kaki pointent leurs armes<br />
sur nous (voir encadr~)<br />
vent.<br />
<strong>et</strong> nous sui,<br />
Cinq ou six coups <strong>de</strong> nash <strong>de</strong> photographes<br />
puis l'un <strong>de</strong>s soldats<br />
intime à Mehm<strong>et</strong> l'ordre <strong>de</strong> ranger le<br />
portrait <strong>de</strong> son frère, avanl <strong>de</strong> le sailir<br />
par le bras <strong>et</strong> <strong>de</strong> le conduire dans<br />
un p<strong>et</strong>it autocar.<br />
Nous les suivons <strong>et</strong><br />
!Ioignons <strong>de</strong> l'aéroport.<br />
nous nous<br />
La nuit tombe. Les innombrables<br />
taxis orange allument leurs phares<br />
blancs. Des miradors braquent leurs<br />
projecteurs. Les p<strong>et</strong>its autocars, les<br />
70<br />
taxis, ont tous leur lumière intérieure<br />
allumée. C'est une obligation<br />
<strong>de</strong>puis le coup d'état<br />
froid.<br />
militaire. Il fait<br />
.<br />
Mehm<strong>et</strong> ne pleure plus maintenant,<br />
mais la lividité <strong>de</strong> son visage<br />
annonce que la peur remplace peu à<br />
peu la tristesse. ,<br />
Le <strong>de</strong>pôt est un hangar immense.<br />
La faible lumière permel d'apercevoir<br />
le cercueil <strong>de</strong> Kemal, coincé<br />
entre <strong>de</strong>s balles <strong>de</strong> chiffons, <strong>de</strong>s poutrelles<br />
en fer <strong>et</strong> <strong>de</strong>s bidons d'essence.<br />
Mehm<strong>et</strong> est mterrogé par un policier<br />
en Civil. Son cousm Asian aussi,<br />
comme nous-mêmes.<br />
Jlllllllleau ",llie"<br />
<strong>de</strong>B ",llraIJle"e.<br />
« Vous êtes Journaliste au Figaro,<br />
il l'Aurore?» me <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
l'homme, au chapeau qUI <strong>de</strong>scend<br />
jusque sur le col <strong>de</strong> son Imperméable.<br />
Il est 18 heures <strong>et</strong> nous allendrons<br />
une partie <strong>de</strong> la nUit, appuyés<br />
sur la barrière en fer qUI donne sur le<br />
hangar, Derrière nous <strong>de</strong>s barbelés<br />
brillenl à la lueur <strong>de</strong> quelques phares.<br />
On aperçoit <strong>de</strong>s nlliltaires qUI<br />
s'exercent au tir sur <strong>de</strong>s mannequins<br />
<strong>de</strong> chiffon. Devant nous un soldat<br />
nous gar<strong>de</strong> en joue. A gauche troIs<br />
VOilures sonl stationnées, emplies <strong>de</strong><br />
policiers en ClVll. A droite, dans un<br />
fourgon, d'aulres portent le casque<br />
el, à la mam, une matraque en bOIs.<br />
Les famIlles <strong>de</strong>s ouvriers assassInés<br />
à Châteaubriant el rapatriés avec<br />
Kemal allen<strong>de</strong>nl à nos CÔlés. Soudain<br />
un cercueil eSllibéré. Une trenlaine<br />
d'hommes s'en emparent dans<br />
les cns elles pleurs. Porté à bOUI <strong>de</strong><br />
'bras, le catafalque recouvert <strong>de</strong> toile<br />
<strong>de</strong> jute, ondule pendant quelques<br />
mètres sous la lumière crue du projecleur<br />
d'une équipe <strong>de</strong> téléVision.<br />
Mehm<strong>et</strong> regar<strong>de</strong> el pleure. Deux.<br />
sentinelles regar<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> nent. Un peu<br />
plus lard nous repartirons, sans<br />
Kemal. Les aUlorités turques affument<br />
que la 'mort esl naturelle <strong>et</strong><br />
qU'II faut pratiquer' une nouvelle<br />
autopsIe ...<br />
Dans le froid nous traversons la<br />
Ville <strong>et</strong> sommes invnés à.bolre du thé<br />
chel quellju'un <strong>de</strong> la famille qui<br />
habite dans un quartier où les ruei<br />
ne sont pas éclaIrées.<br />
la pâleur du vIsage qUI, à nouveall<br />
a\, pns le <strong>de</strong>slius ~llr Ie~ '<br />
pleurs <strong>de</strong> Mehm<strong>et</strong>, s'dlale lorsqu'il<br />
r<strong>et</strong>rouve plusieurs <strong>de</strong> ses parents. A<br />
<strong>de</strong>ux heures du matm nous <strong>de</strong>vons le<br />
. quilter<br />
Oleay.<br />
<strong>et</strong> nous r'endre à<br />
11 nous a ét~ désigné<br />
l'hôtel<br />
par la<br />
police.<br />
Dimanche matin, apr~s une mauvaise<br />
nuit, le cousin <strong>de</strong> Kemal nous<br />
confirme qu'iF'doit rester sans arrêt<br />
avec nous: Jandis que Mehm<strong>et</strong><br />
s'occupe <strong>de</strong>s démarches auprès <strong>de</strong>s<br />
autorités. A observer les gens, nous<br />
comprenons qu'il est recommandé<br />
<strong>de</strong> ne parler à personne. En Turquie,<br />
il faut se méfier du chauffeur <strong>de</strong><br />
taxi, <strong>de</strong> l'ami rencontré dans la rue,<br />
ne surtout pas employer <strong>de</strong>s mots<br />
« Kurdistan» ou « communiste ».<br />
Le pays connaît une Inflation <strong>de</strong><br />
53 lIfo Ici le SMIC est à 16.000<br />
liras,ce qui n'assure même pas les<br />
calories suffisanies pour la survie,<br />
Des cireurs <strong>de</strong> chaussures en guenIlles<br />
ont posé leur p<strong>et</strong>it établi en cuivre<br />
à l'entrée <strong>de</strong> l'hôtel<br />
débordant <strong>de</strong> lumière,<br />
Sheralon<br />
'<br />
C'ell à 19 heures que nous rejoignons<br />
Mehm<strong>et</strong> à "aéroport. Nous<br />
sommes<br />
reprises.<br />
fOUillés au<br />
Il est livi<strong>de</strong>.<br />
corps à troIs<br />
Fn'm \'~\'iron 'Jan' leo'lel "!'<br />
imposant portrait du dictateur est<br />
affiché, décolle pour Malatya.<br />
~ N'ayez pas peur », avertit le<br />
cousin <strong>de</strong> Mehm<strong>et</strong>, en nous e~phquant<br />
que <strong>de</strong> nombreux membres <strong>de</strong><br />
la famille <strong>de</strong> Kemal doivent nous<br />
accueillir.' Quelques heures plus tôt,<br />
en regardant les principaux journaux,<br />
nous avons relevé l'importante<br />
campagne « antifrançaise »<br />
qui est menée par les autorités. Sur<br />
la première page d'un journal, un<br />
<strong>de</strong>ssin représente le portrait d'Hitler<br />
accroché à la tour Eiffel. En atterrISsant<br />
à 20 h 3D, Mehmel<br />
mes.<br />
fond en lar-<br />
Il a ressorti le portrait <strong>de</strong> son frère<br />
<strong>et</strong> nous le suivons au milieu d'une<br />
hale <strong>de</strong> soldats<br />
en arme~ au regard<br />
méprISant. Nous sommes en pleine<br />
base <strong>de</strong> l'OTAN.<br />
I.'elllréea" B"rdlalall,<br />
Au bout <strong>de</strong>s pistes <strong>et</strong> <strong>de</strong>s installations<br />
militaires une soixantaine <strong>de</strong><br />
personnes nous accueillent. Mehm<strong>et</strong><br />
el sa mère se tombent dans les bras.<br />
Une <strong>de</strong>s ses sœurs est là aussi. Tou~<br />
les autres sont <strong>de</strong>s hommes du village<br />
ou Kemal est né : Harunusagi.<br />
Ils onl pu venir dans quatre pelits<br />
cars. Il y a quelques heures à peine,<br />
l'armée ne concédanla présence que<br />
d'un seul car. Nous laissons Mehm<strong>et</strong><br />
effondré el grimpons dans l'un <strong>de</strong>s<br />
v~hicules ou nous croisons le regard<br />
<strong>de</strong>s hommes qui nous son<strong>de</strong>.<br />
Dans la nutl glaciale, notre p<strong>et</strong>ite<br />
caravane s'enfonce dans la montagne.<br />
A la lueur <strong>de</strong>s phares nous prenons<br />
les pierres blanches pour <strong>de</strong> la<br />
neige. Durant une heure <strong>et</strong> <strong>de</strong>mie<br />
nous traversons un veritable désert.<br />
Aucune lueur d'habitation mais, en<br />
revanche, nous doublons trois fois<br />
les girophares<br />
police.<br />
bleus d'une voiture <strong>de</strong><br />
La route s'arrête soudain <strong>et</strong> nous<br />
gravissons un sentier <strong>de</strong> pierre raviné<br />
par d'anciens torrents<br />
le passage <strong>de</strong>s mulelS.<br />
<strong>et</strong> abîmé par<br />
Nous pénétrons au Kurdistan. Ici<br />
l'armée est en état d'alerte permanent.<br />
J'offre une cigar<strong>et</strong>te à un<br />
homme qui me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> mon âge. Il<br />
me donne une poignée <strong>de</strong> p<strong>et</strong>ites<br />
baies sauvages au goOt <strong>de</strong> pomme.<br />
Il est minuit, ce dimanche soir,<br />
lorsque sous le ciel d'une pur<strong>et</strong>é<br />
extraordinaire, nous arrivons au village.<br />
Furtivement nous apercevons<br />
Mehm<strong>et</strong> au loin. Il s'effondre dans<br />
les bras <strong>de</strong> son père, aux cheveux <strong>et</strong> à<br />
la harhe l'olanche \I,tI l'ar le' lroi'<br />
ans qu'il<br />
ment.<br />
a passé en prison<br />
.<br />
récem-<br />
Nous gravissons quelques marches<br />
d'un escalier <strong>de</strong> bOIS vermoulu<br />
<strong>et</strong>, à la lueur d'une lampe à gaz,<br />
nous nous asseyons sur <strong>de</strong>s tapis<br />
multicolores au fond d'une pièce.<br />
Une femme alimente un p<strong>et</strong>it<br />
poêle avec un mélange <strong>de</strong> bois <strong>et</strong> <strong>de</strong>