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Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

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LIBERA TION<br />

. (S UITE)<br />

ché en vain <strong>de</strong>s toil<strong>et</strong>tes. Apprenant<br />

que les paysans utilisaient la rivière<br />

pour toute salle <strong>de</strong> bain, le capitaine<br />

scandalisé, a pris <strong>de</strong>s mesures énergiques<br />

: I( Je vous donne 15 jours pour<br />

construire un endroit clos <strong>de</strong>vant chaque<br />

maison. Si vous ne le faites pas,<br />

votre muktar (chef <strong>de</strong> village) sera<br />

puni. Il<br />

Mais les I( mehm<strong>et</strong>cik », comme les<br />

surnomme la presse turque avec une<br />

fierté attendrie, n'ont pas débarqué<br />

en force dans ce Far East du Kurdistan<br />

turc pour faire l'éducation sanitaire<br />

<strong>de</strong>s villageois. Leur opération <strong>de</strong><br />

chasse aux séparatistes marxistes léninistes<br />

du PKK (Parti <strong>de</strong>s travailleurs<br />

kur<strong>de</strong>s) a pris l'allure d'une véritable<br />

guerre contre la population accusée<br />

<strong>de</strong> coopérer avec les « terroristes ».<br />

Hakkari, capitale <strong>de</strong> la province<br />

frcmtalière avec l'Iran <strong>et</strong> l'Irak, prisonnière<br />

<strong>de</strong> pics rocailleux <strong>et</strong> enneigés,<br />

s'est transformée en garnison.<br />

De I 000 avant l'opération, les soldats<br />

sont maintenant 3 000, selon<br />

l'estimation d'un avocat, soit I pour<br />

7 habitants. Ils sont partout, inévitables<br />

: dans les rues, pataugeant dans<br />

la boue,à la poste, expédiant, l'arme<br />

en bandoulière, une l<strong>et</strong>tre à leur famille<br />

<strong>de</strong> 1'« Ouest» (aucun <strong>de</strong>s appelés<br />

envoyés iei n'est originaire <strong>de</strong><br />

l'Est kur<strong>de</strong>), sur les routes contrôlant<br />

I('s véhieules ou encore parqués dans<br />

<strong>de</strong>s camions rouges couverts d'enluminures<br />

réquisitionnés pour l'occasion<br />

comme transport <strong>de</strong> troupes.<br />

Prise par le mauvais temps, l'armée<br />

précipite les opérations. A défaut<br />

d'une intervention d'envergure contre<br />

les séparatistes r<strong>et</strong>ranchés en Irak, les<br />

militaires ont entrepris un ratissage<br />

accéléré <strong>de</strong>s villages, dans une zone<br />

a reproché un capitaine comme si ces .<br />

paysans kur<strong>de</strong>s en chal var, casqu<strong>et</strong>te: <strong>de</strong> 120 kilomètres le long <strong>de</strong> la frontière<br />

baptisée « opération soleil ».<br />

<strong>et</strong> sabots, étaient coupables <strong>de</strong> leur<br />

dénuement.<br />

Que Bagdad ait donné son accord<br />

Dans ce village sans eau ni électricité,<br />

où l'on n'a jamais aperçu l'om-<br />

du PKK <strong>et</strong> <strong>de</strong>s peshmergas <strong>de</strong> Mas-<br />

pour une attaque turque <strong>de</strong>s troupes<br />

bre d'une télévision, d'une radio ou<br />

d'un journal, les militaires ont cher.<br />

soud Barzani en territoire irakien,<br />

personne ne s'en émeut vraiment à<br />

Hakkari. Recroquevillés sur leur haine<br />

<strong>de</strong>s militaires turcs, les gens subissent<br />

avec angoisse les incursions armées<br />

dans leurs villages <strong>et</strong> dans leur<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie.<br />

I( Ils sont arrivés en hélicopt~re <strong>et</strong><br />

ils ont rassemblé les hommes dans<br />

un camp », raconte un vieux, la tête<br />

enserrée dans un foulard noir <strong>et</strong><br />

blanc. Son village, Kazan, à 30 kilomètres<br />

<strong>de</strong> Cukurca, la ville frontalière,<br />

est quasiment inaccessible. Il<br />

compte 43 familles. I( Ils nous ont<br />

alignés, les mains sur la t<strong>et</strong>e comme<br />

<strong>de</strong>s bandits, ils nous ont fouillés ainsi<br />

que nos maisons. Ils ont arr~té 10<br />

hommes au hasard <strong>et</strong> les ont emmenés<br />

à Hakkari, ligotés dans un camion»,<br />

ajoute-t-i1. Sur les, dix, huit<br />

dont son fils étaient hier toujours en<br />

détention, S jours après le ratissage.<br />

Pâle, les yeux légèrement tuméfiés,un<br />

ouvrier agricole <strong>de</strong> Isikli porte<br />

son effroi sur la figure. Libéré mercredi<br />

après 20 jours à la garnison<br />

militaire d'Hakkari, il n'ose pas r<strong>et</strong>ourner<br />

dans son village car, démuni<br />

<strong>de</strong>s papiers d'i<strong>de</strong>ntitié comme la plupart<br />

<strong>de</strong>s paysans, il craint une nouvelle<br />

arrestation. Il ne sait ni lire ni écrire<br />

ne connait pas sa date <strong>de</strong> naissance <strong>et</strong><br />

ne parle qu'à peine le turc. Par.<br />

<strong>de</strong>ssus tout, il ne comprend pas pourquoi<br />

il a été arrêté. Tremblant, il<br />

raconte: I( D'abord, ils m'ont rasé<br />

les çheveux, puis ils m'ont j<strong>et</strong>é dans<br />

un cachot tout seul. De temps en<br />

temps, ils me donnaient un peu d'eau<br />

<strong>et</strong> un bout <strong>de</strong> pain. Pour les interrogatoires,<br />

ils me bandaient les yeux.<br />

Ils étaient <strong>de</strong>ux, un interpr~te qui<br />

parlait en kur<strong>de</strong> <strong>et</strong> un autre qui me<br />

frappait avec sa matraque. Ils posaient<br />

toujours les memes questions:<br />

I( qui sOnt les Apocular (surnom <strong>de</strong>s<br />

militants du PKK) ? où se cachentils<br />

? » A la fin, j'ai signé un papier<br />

<strong>et</strong> ils m'ont relliché. Je ne sais pas ce<br />

que j'ai signé, j'avais les yeux bandés.<br />

Comme je ne sais pas écrire ils<br />

m'ont tenu la main. » ,<br />

Selon le Premier ministre Turgut<br />

Ozal, 1 71S personnes ont été interpellées,<br />

<strong>de</strong>puis le début à la mi-aoOt,<br />

<strong>de</strong>s opérations « anti-terroristes »<br />

dans l'Est. 696 ont été relâchées alors<br />

que 692 ont été déférées <strong>de</strong>vant les<br />

tribunaux <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> siège. 138 criminels<br />

<strong>de</strong> droit commu" ou trafiquants<br />

capturés inci<strong>de</strong>mment vont<br />

passer <strong>de</strong>vant la justice civile. Les<br />

au.tres sont toujours sous interrogatOITe.<br />

Annonçant ces chiffres, M. Ozal a<br />

ajouté: « Nous <strong>de</strong>vons rester calmes,<br />

l'Etat ne doit pas utiliser les métho<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>s terroristes. » Une mise au<br />

point plus que nécessaire. Selon <strong>de</strong>s<br />

témoignages, même <strong>de</strong>s femmes ont<br />

été battues ou insultées lors du ratissage.<br />

Plusieurs paysans ne comprenant<br />

pas le turc aurait été tués la nuit<br />

sur <strong>de</strong>s chemins par <strong>de</strong>s soldats affolés<br />

les prenant pour <strong>de</strong>s militants.<br />

Tuzluca, un village considéré comme<br />

rebelle où l'armée n'entrait pas avant<br />

les oPérations, a été totalement déporté.<br />

Le simple fait <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s<br />

stocks <strong>de</strong> chaussures, <strong>de</strong> vêtements ou<br />

<strong>de</strong> nourriture vaut d'être considéré<br />

comme suspect <strong>de</strong> coopération avec<br />

les séparatistes. Or dans ces villages<br />

frontaliers reculés, les paysans pour<br />

survivre, se sont toujours livrés aux<br />

trafies <strong>de</strong> bétail ou <strong>de</strong> marchandises<br />

vers l'Iran ou vers l'Irak.<br />

Pour faire cesser ces infiltrations <strong>et</strong><br />

« affamer» les séparatistes qui se<br />

ravitaillaient dans les villages, les autorités<br />

militaires ont imposé un rationnement<br />

draconien. Alors que les<br />

paysans viennent habituellement à<br />

c<strong>et</strong>te époque, chercher leur nourriture<br />

<strong>de</strong> base à Hakkari pour tout l'hiver,<br />

les quantités autorisées sont <strong>de</strong>puis<br />

un mois sévèrement limitées. « A vont<br />

tout achat en gros, il faut obtenir<br />

l'autorisation du comman<strong>de</strong>ment <strong>de</strong><br />

l'état <strong>de</strong> si~ge qui établit les besoins<br />

<strong>de</strong>s familles, explique un avocat<br />

d'Hakkari. Ensuite dans les magasins,<br />

il faut présenter c<strong>et</strong>te permission<br />

ainsi qu'aux contrOles routiers.»<br />

Sur les ISS 000 habitants <strong>de</strong> la<br />

province, 81 000 sont totalement iIIétrés.<br />

Il n'y a que 3 ans qu'on accè<strong>de</strong><br />

à Hakkari par une route asphaltée.<br />

« Dans les villages, raconte un mé<strong>de</strong>cin<br />

<strong>de</strong> Cukurca, beaucoup n'ont m~me<br />

pas idée <strong>de</strong> ce que représente<br />

l'électricité. Par ignorance, ils souhaitent<br />

la construction d'une mosquée<br />

plutOt que l'électrification. Les gens<br />

restent totalement étrangers à l'Etat.<br />

Tout ce qu'ils connaissent d'Ankara,<br />

ce ne sont que ses soldats. »<br />

En ne s'attaquant qu'à l'armée, les<br />

Apocular parviennent à se faire passer<br />

pour <strong>de</strong>s justiciers. Selon les chiffres<br />

officiels, ils ont tué jusqu'à présent<br />

18 militaires. A Hakkari personne<br />

n'ignore qu'ils ont également<br />

abattu 6 civils ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières semaines,<br />

<strong>de</strong>s commerçants qui travaillaient<br />

pour le MIT (services <strong>de</strong> rensei.<br />

gnement). R<strong>et</strong>ranchés <strong>de</strong>puis 4 ans à<br />

la frontière, les militants avaient établi<br />

<strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> voisinage avec les<br />

paysans. Ils venaient s'approvisionner<br />

dans les villages prenant d'office la<br />

nourriture si on refusait <strong>de</strong> la leur<br />

donner. Les villageois qui connaissent<br />

la montagne aussi bien que les séparatistes,<br />

n'ignorent pas leurs caches.<br />

Aujourd'hui, ils ont l'impression <strong>de</strong><br />

payer pour n'avoir pas combattu, eux<br />

qui sont désarmés face à <strong>de</strong>s hommes<br />

armés, ou dénoncé les « terroristes ».<br />

Ils ne sont pas au bout <strong>de</strong> leurs<br />

frayeurs. La rumeur court que les<br />

Apocular viendront se venger <strong>de</strong><br />

ceux qui les auront I( vendus ».<br />

Corinne TAOR<br />

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