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Même - Revue des sciences sociales

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120<br />

Un iconoclasme<br />

télévisuel<br />

Récurrences et ambiguïtés d'une critique<br />

L a<br />

critique de la télévision se présente<br />

comme un sport national,<br />

y compris chez ceux qui en font<br />

une grande consommation. L’hégémonie<br />

économique, politique et sociale de<br />

la télévision est en fait méprisée, sa<br />

légitimité toujours contestée : manipulation,<br />

collusions politiques, indigence<br />

<strong>des</strong> programmes… Comme si le talon<br />

d’Achille de la télévision était justement<br />

son image, l’image. Pour appréhender<br />

notre rapport ambigu à cette télé qui<br />

s’auto-parodie parfois elle-même, il<br />

n’est pas inutile de remonter de quelques<br />

siècles en arrière, quelque part sur<br />

le Mont Sinaï, en compagnie de Moïse,<br />

car à y regarder de plus près, la critique<br />

de l’image est une très vieille histoire.<br />

Idole ou icône ? ■<br />

« Tu ne feras point d’image taillée, ni<br />

de représentation quelconque <strong>des</strong> choses<br />

qui sont en haut dans les cieux, qui sont<br />

en bas sur la terre, ou dans les eaux par<strong>des</strong>sous<br />

la terre. Tu ne te prosterneras<br />

point devant elles, et tu ne les serviras<br />

point ». Si ce commandement divin n’est<br />

pas le plus célèbre <strong>des</strong> dix, il est peutêtre<br />

celui qui aura les conséquences les<br />

plus déterminantes, car à cet interdit<br />

biblique de la représentation succède une<br />

pratique chrétienne beaucoup plus nuancée.<br />

Le dogme de l’Incarnation, du Dieu<br />

fait Homme, – le Verbe, en se faisant<br />

chair, s’est donné à voir lui-même dans<br />

une forme visible – et la multiplicité<br />

<strong>des</strong> interprétations <strong>des</strong> écrits fondateurs<br />

engendrèrent dans le christianisme la<br />

représentation du Christ, <strong>des</strong> saints et<br />

<strong>des</strong> scènes bibliques sous forme d’icônes,<br />

peintures, vitraux…<br />

Il s’agit là d’une ambiguïté originelle.<br />

L’image fut instituée, justifiée comme<br />

mode de représentation de l’absent, mais<br />

aussi du divin, ouvrant le débat sur les<br />

limites et les ambiguïtés de la représentation.<br />

Un débat qui est hanté par<br />

la dérive de l’idolâtrie, c’est-à-dire de<br />

l’adoration de l’image pour elle-même.<br />

La querelle à propos de la représentation<br />

divine se focalisera ainsi sur les<br />

risques de dérives idolâtres d’un peuple<br />

illettré : le peuple qui vénère l’icône faitil<br />

la distinction entre l’image et ce qu’elle<br />

représente ? L’icône est-elle la « Bible<br />

<strong>des</strong> illettrés » ? Un débat qui sera tranché<br />

théologiquement au Concile de Nicée en<br />

787 : « l’honneur rendu à l’icône atteint<br />

le prototype et celui qui se prosterne<br />

devant l’icône se prosterne devant l’hypostase<br />

de celui qui s’inscrit en elle »<br />

(cité par Besançon, 1994, p. 168). La<br />

critique d’idolâtrie est ainsi réfutée grâce<br />

à l’argument de la médiation que permet<br />

la représentation, du moment qu’il est<br />

reconnu que l’image n’est pas la chose<br />

représentée.<br />

MARC TRIGUEROS<br />

Institut Régional du Travail Social<br />

du Languedoc-Roussillon, Montpellier<br />

<br />

Au delà de ce raisonnement philosophique,<br />

on peut pointer un souci plus<br />

terre-à-terre : l’adhésion <strong>des</strong> masses.<br />

L’iconoclasme est l’une <strong>des</strong> gran<strong>des</strong><br />

fractures <strong>des</strong> religions monothéistes.<br />

Il est évident que face à un Islam et<br />

un Judaïsme refusant la représentation,<br />

l’iconographie chrétienne sera une arme<br />

supplémentaire dans les guerres de religions<br />

et les croisa<strong>des</strong>. C’est ce que Régis<br />

Debray nommera le « génie du christianisme<br />

», l’image ayant toujours été au<br />

cœur <strong>des</strong> processus d’adhésion de masse.<br />

Et si la croix chrétienne était le premier<br />

logo de l’Histoire ?<br />

Sans aller plus avant dans ces complexes<br />

débats théologiques, cette entrée<br />

en matière permet de rappeler d’une<br />

part l’origine d’une légitimité, l’image<br />

étant une médiation vers un réel inaccessible,<br />

et d’autre part une ambiguïté<br />

dans l’objet réel de la vénération – le<br />

divin ou sa représentation –, le tout étant<br />

pris dans <strong>des</strong> considérations également<br />

politiques.<br />

Comme l’a très bien résumé François<br />

Dagognet, concernant l’image, « son histoire<br />

coïncide avec celle de sa déconsidération<br />

» (Dagognet, 1977, p. 157).<br />

Cette querelle <strong>des</strong> images ne va donc<br />

cesser de se réactualiser au fil <strong>des</strong> siècles<br />

en sortant du terrain religieux pour aller<br />

sur le terrain artistique – l’art abstrait qui<br />

rompt avec la représentation académique<br />

du sujet – et politique – le fétichisme

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