Même - Revue des sciences sociales
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médiane de l’éther, Junon à la partie la<br />
plus basse de l’air et Minerve au sommet<br />
de l’éther, le Réatin se plaît à souligner<br />
les implications cosmiques du culte <strong>des</strong><br />
idoles. Tout se passe en effet, dans son<br />
optique, comme si ces divinités installées<br />
par un roi d’origine grecque au cœur<br />
même de l’Vrbs et venues de Samothrace<br />
recelaient certains aspects de la doctrine<br />
platonicienne <strong>des</strong> éléments – tant il est<br />
vrai que pour lui les effigies cultuelles<br />
constituent les auxiliaires indispensables<br />
de la contemplation philosophique.<br />
Faut-il conclure dès lors à une antinomie<br />
radicale entre les déclarations de<br />
Varron favorables à un culte <strong>des</strong> statues<br />
correctement entendu 27 et la condamnation<br />
sans nuances <strong>des</strong> représentations<br />
plastiques de la divinité par laquelle il<br />
dénonçait errements ou débordements<br />
de l’idolâtrie contemporaine 28 ? En fait<br />
le fossé qui semble séparer ces deux<br />
réactions n’est pas aussi infranchissable<br />
qu’on pourrait le croire au premier abord.<br />
Certes si le Réatin avait été libre d’établir<br />
à sa convenance la théologie civile, il<br />
est probable qu’il en aurait banni toute<br />
figuration divine 29 ; mais, esprit réaliste<br />
et pragmatique, il prend le culte tel qu’il<br />
existe de son temps, c’est-à-dire assorti<br />
de la vénération <strong>des</strong> images saintes, et<br />
tente d’y voir la traduction concrète de<br />
la théologie naturelle. De surcroît la<br />
juxtaposition chez lui d’une aspiration<br />
iconoclaste et d’une exégèse positive,<br />
bienveillante, <strong>des</strong> portraits d’immortels<br />
peut s’expliquer aussi par sa conception<br />
d’une religion à deux niveaux – commun<br />
et particulier : les effigies <strong>des</strong> dieux<br />
s’accorderaient à la dévotion matérialiste<br />
de la collectivité romaine, tandis que la<br />
spiritualité plus recherchée <strong>des</strong> initiés<br />
aurait préféré s’en dégager. C’est donc<br />
en termes de complémentarité et non de<br />
contradiction qu’il importe d’apprécier<br />
la dualité <strong>des</strong> points de vue adoptés par<br />
le penseur sabin 30 au sujet <strong>des</strong> statues<br />
divines.<br />
Notes<br />
1. La documentation critique relative à ce<br />
sujet n’est pas abondante, mais de grande<br />
valeur. Elle se résume, pour l’essentiel,<br />
aux assertions consignées par Pierre<br />
Boyancé dans deux articles : Sur la théologie<br />
de Varron, dans RÉA LVII, 1955,<br />
p. 65 à 73 et Les implications philosophiques<br />
<strong>des</strong> recherches de Varron sur la<br />
religion romaine dans Atti del Congresso<br />
Internazionale di Studi Varroniani, t. I,<br />
Rieti, 1976, p. 158-160.<br />
2. Varron, RD, I, frg. 18 éd. B. Cardauns =<br />
Augustin, CD, IV, 31 : « pendant plus de<br />
cent soixante-dix ans, les anciens Romains<br />
adorèrent les dieux sans représentations<br />
figurées. Si cet usage s’était maintenu,<br />
ajoute-t-il, plus pur serait le culte <strong>des</strong><br />
dieux… ceux qui, les premiers, ont dressé<br />
pour le peuple <strong>des</strong> images <strong>des</strong> dieux ont<br />
aboli la crainte chez leurs concitoyens et<br />
ajouté une erreur » (trad. P. de Labriolle).<br />
Plutarque, dans un passage de sa Vie de<br />
Numa, 8 – qui doit remonter à Varron, en<br />
raison du détail caractéristique <strong>des</strong> 170 ans<br />
– attribue même au vieux roi une défense<br />
expresse faite aux Romains d’instituer<br />
une représentation anthropomorphe ou<br />
zoomorphe de la divinité : « Numa, de son<br />
côté, interdit aux Romains de représenter<br />
la divinité sous la forme d’un homme ou<br />
d’un animal. Et il n’y eut d’abord chez eux<br />
aucune image peinte ou sculptée de dieu ;<br />
pendant les cent soixante-dix premières<br />
années, sans doute, ils construisirent <strong>des</strong><br />
temples et élevèrent <strong>des</strong> chapelles, mais<br />
ils n’y mirent aucune statue figurant une<br />
divinité » (trad. R. Flacelière,). Cette affirmation<br />
de Varron, étant donné la science<br />
d’antiquaire qu’on lui prête avec raison,<br />
a pesé d’un poids décisif dans l’étude du<br />
culte primitif <strong>des</strong> Romains – témoin F.<br />
Boemer, Ahnenkult und Ahnenglaube im<br />
alten Rom, Leipzig, 1943, p. 114 : « die<br />
von Varro bezeugte und heute allgemein<br />
angenommene Nachricht über den anikonischen<br />
Kult <strong>des</strong> voretruskischen Roms ».<br />
Elle a servi notamment à étayer la théorie<br />
<strong>des</strong> numina conçus comme <strong>des</strong> formes<br />
divines indéterminées et l’ethnologie<br />
est venue y ajouter ses propres spéculations<br />
sur le mana : cf. J. Bayet, Histoire<br />
politique et psychologique de la religion<br />
romaine, 2 e éd., Paris, 1969, p. 38.<br />
3. L’indication est fournie principalement<br />
par Pline l’Ancien, NH, XXXV, 157 (qui<br />
la tiendrait de Varron lui-même d’après F.<br />
Münzer, Beiträge zur Quellenkritik der<br />
Naturgeschichte <strong>des</strong> Plinius, Berlin, 1897,<br />
p. 263 sqq.).<br />
4. Varron, Log. Curio, de cultu deorum, frg.<br />
4 éd. B. Cardauns = Augustin, CD, VII,<br />
35 : « Numa... fut obligé de recourir à<br />
158 <strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales, 2005, n° 34, “Le rapport à l’image”<br />
l’hydromancie pour voir dans l’eau les<br />
images <strong>des</strong> dieux... et apprendre ainsi<br />
ce qu’il devait instituer et observer en<br />
fait de cérémonies. Varron dit encore que<br />
ce genre de divination vient de chez les<br />
Perses et que Numa lui-même, puis le<br />
philosophe Pythagore en ont usé ». Le<br />
Curio qui donne son nom à l’ouvrage<br />
d’où ces lignes sont tirées s’identifie à<br />
C. Scribonius Curio, consul en 76, qui prit<br />
cette année-là l’initiative de la reconstitution<br />
<strong>des</strong> oracles sibyllins, disparus dans<br />
l’incendie du Capitole. Il était pontife et<br />
avait la réputation d’un homme très religieux.<br />
Faut-il rappeler enfin que dans ses<br />
Antiquités divines (I, frg. 38 éd. B. Cardauns<br />
= Tertullien, Apol. 25, 12) Varron<br />
avait également abordé ce thème de l’austérité<br />
de l’appareil liturgique romain au<br />
temps de Numa : (sc. regnante Numa)<br />
nondum tamen aut simulacris aut templis<br />
res diuina apud Romanos constabat.<br />
Frugi religio et pauperes ritus et nulla<br />
Capitolia... sed temporaria de caespite<br />
altaria et uasa adhuc Samia = « le culte<br />
chez les Romains, sous le règne de Numa,<br />
ne consistait pas encore en statues ni en<br />
temples. La religion était sans apprêts,<br />
les rites étaient pauvres et il n’y avait pas<br />
de Capitoles.... mais <strong>des</strong> autels de gazon<br />
élevés pour un temps, <strong>des</strong> vases samiens »<br />
(trad. J.-P. Waltzing) ?<br />
5. Contrairement à une opinion reçue de<br />
l’époque, Pythagore n’est pas présenté ici<br />
comme le maître de Numa (cf. en outre<br />
Cicéron, Rep., II, 28-29 ; Tite-Live, I,<br />
18-23). C’est bien plutôt ce dernier qui<br />
s’apparenterait à une sorte de pythagoricien<br />
avant la lettre.<br />
6. Varron cité par Augustin, CD, IV, 31<br />
(= M. Stern, Greek and Latin Authors on<br />
Jews and Judaism, I, Jérusalem, 1976,<br />
p. 209, frg. 72 a) : « entre autres preuves<br />
(de l’existence d’un culte <strong>des</strong> dieux<br />
dépourvu de simulacres) il invoque à l’appui<br />
la nation juive » (trad. P. de Labriolle).<br />
7. Varron, RD, I, frg. 22* éd. B. Cardauns =<br />
Arnobe, Adu. nat., VII, 1 : « les dieux<br />
véritables ne désirent pas d’offran<strong>des</strong> et<br />
n’en réclament pas ; quant à ceux qui<br />
sont faits de bronze, de terre cuite, de<br />
plâtre ou de marbre, ils s’en soucient<br />
beaucoup moins encore, vu qu’ils n’ont<br />
pas de sentiment. Si on ne s’en acquitte<br />
pas, on est exempt de faute ; si on s’en<br />
acquitte, elles n’ouvrent aucun droit à la<br />
reconnaissance ».<br />
8. Varron, Men., frg. 1 éd. J.-P. Cèbe : « c’est<br />
pourquoi on voyait bientôt une grande<br />
partie d’entre eux se mettre à désirer<br />
poupées et figurines » (trad. J.-P. Cèbe).<br />
Pour ce qui concerne l’interprétation de<br />
ce fragment nous sommes redevable à