Même - Revue des sciences sociales
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Dominique Merg & Claude Bader Le vécu parental de l'image échographique du fætus<br />
abdominale maternelle et permettent de<br />
visualiser l’anatomie du fœtus sous différents<br />
plans de coupe, en fonction de<br />
l’orientation de la sonde d’échographie<br />
par rapport au corps fœtal.<br />
L’image sur l’écran d’ordinateur traduit<br />
les zones liquidiennes en noir, les<br />
structures osseuses en blanc, avec entre<br />
les deux, <strong>des</strong> nuances de gris relatives<br />
à la densité <strong>des</strong> tissus. Ainsi, le faisceau<br />
d’ultrasons renvoie en temps réel une<br />
coupe artificielle en deux dimensions. Un<br />
deuxième écran est toujours orienté vers<br />
la femme enceinte, pour lui permettre<br />
de regarder ces images dans le même<br />
temps.<br />
L’échographisteconnaît le rapport<br />
entre la position de sa sonde et l’orientation<br />
spatiale du fœtus. Il analyse les<br />
images sur l’écran en temps réel. Il est<br />
nécessaire de connaître l’anatomie, mais<br />
aussi la densité <strong>des</strong> tissus, pour repérer<br />
les différents organes.<br />
L’image échographique est difficilement<br />
lisible par <strong>des</strong> néophytes. Les zones<br />
noires correspondant aux liqui<strong>des</strong> sont<br />
souvent à l’origine de questions de la part<br />
<strong>des</strong> mères, car elles apparaissent comme<br />
<strong>des</strong> trous. Les nuances de gris <strong>des</strong> images<br />
rappellent le négatif d’une photographie<br />
en noir et blanc. Le volume fœtal peut<br />
être reconnu parfois par un œil non averti,<br />
en coupe longitudinale, ou de profil. Le<br />
corps fœtal apparaît transparent comme<br />
celui de certains poissons exotiques. La<br />
future mère peut reconnaître dans les<br />
contours du fœtus <strong>des</strong> images rappelant<br />
la forme du bébé humain, mais ne le voit<br />
en entier qu’à la première échographie,<br />
car lors <strong>des</strong> examens suivants sa taille<br />
dépasse le spectre de la sonde d’échographie,<br />
et il est de ce fait vu de manière<br />
parcellaire.<br />
L’étude :<br />
problématique, hypothèses, méthode<br />
Nous nous sommes intéressées aux<br />
significations que peuvent prendre pour<br />
les parents l’image échographique. Cette<br />
image est révélée dans le cadre d’un examen<br />
médical par l’observation visuelle<br />
de la croissance et de l’anatomie fœtale.<br />
Il faut considérer à la fois l’image échographique<br />
en mouvement, celle du temps<br />
de l’examen, mais également l’image sur<br />
papier, image fixe qui est donnée ou non<br />
par l’échographiste à la femme enceinte à<br />
l’issue de l’examen Ce cliché est souvent<br />
dénommé par les professionnels euxmêmes<br />
« la photo du bébé ».<br />
Il nous a semblé intéressant d’interroger<br />
la signification attribuée par les<br />
échographiées et leur conjoint à ce cliché,<br />
indépendamment de sa fonction médicale.<br />
Notre hypothèse est en effet que l’image<br />
est à la croisée d’une double élaboration<br />
contradictoire : d’un côté, elle donne<br />
plus de réalité, de présence, à l’enfant à<br />
venir, mais de l’autre, elle permet aussi<br />
aux parents de rêver, de parler de l’enfant,<br />
et donc d’étayer leur imaginaire.<br />
La fonction d’objectivation de l’image<br />
serait donc ici télescopée par sa fonction<br />
affective.<br />
Notre analyse repose sur une expérience<br />
professionnelle de vingt années<br />
en tant que sage-femme, ainsi que sur un<br />
travail d’observation sur trois années <strong>des</strong><br />
situations d’interaction lors d’examens<br />
échographiques dans le cadre d’un doctorat<br />
en psychologie (Dominique Merg),<br />
et sur un stage de cinq mois en maternité,<br />
ayant permis une enquête auprès de sept<br />
futurs parents portant sur leurs représentations<br />
de l’échographie (Claude Bader).<br />
Pour cette enquête, qui fournit l’essentiel<br />
de nos citations, un guide d’entretien<br />
semi-directif a été élaboré à partir <strong>des</strong><br />
questions autour du cliché papier conservé<br />
par les parents à l’issue de l’examen.<br />
Les entretiens ont été enregistrés et ont<br />
fait l’objet d’une retranscription à l’écrit.<br />
La relecture a permis un repérage et une<br />
hiérarchisation <strong>des</strong> thèmes en rapport<br />
avec notre question principale. Dans un<br />
second temps, ces mêmes thèmes et les<br />
questions théoriques qu’ils suscitent ont<br />
fait l’objet de recherches dans la littérature<br />
psychanalytique et médicale.<br />
Les critères de sélection pour l’entretien<br />
étaient la primiparité (c’était leur<br />
premier enfant) et une grossesse sans<br />
complication, afin de ne pas interférer<br />
avec d’autres problématiques. Tous les<br />
parents auxquels a été proposé de participer<br />
à un entretien sur ce thème ont<br />
accepté.<br />
Nous avons ainsi rencontré un futur<br />
père et trois couples : deux au cours de<br />
la grossesse, et le troisième ayant un<br />
enfant de moins de trois mois. Parmi<br />
ceux rencontrés au cours de la grossesse,<br />
un futur père n’a pas assisté à l’examen<br />
échographique.<br />
Représentations de<br />
l’échographie ■<br />
L’analyse <strong>des</strong> entretiens permet de<br />
repérer combien ce cliché est associé aux<br />
émotions éprouvées lors de l’examen, et<br />
de répertorier les réactions psychiques<br />
plus spécifiquement associées aux images<br />
échographiques détenues par les parents<br />
avant la naissance de leur enfant. En premier<br />
lieu, les parents parlent de l’image<br />
échographique comme d’une «preuve»<br />
visuelle de l’existence de l’enfant. En<br />
cela s’exprime la fonction objectivante de<br />
l’image. Pour autant, le cliché se révèle<br />
également source de multiples projections<br />
et dévoile leurs attentes conscientes ou<br />
inconscientes vis à vis de l’examen d’une<br />
part, et de l’enfant d’autre part. Il manifeste<br />
là la fonction également affective de<br />
l’image. En effet, nous avons pu observer<br />
la construction d’une certaine relation<br />
entre les parents et le fœtus au travers de<br />
ce cliché qui devient le support d’identifications.<br />
Il donne également à parler<br />
d’un enfant non encore né, participant à<br />
le rendre présent dans un discours.<br />
De l’image surgissent <strong>des</strong> émotions<br />
Les parents sollicités pour parler de<br />
l’image polaroïd reçue après l’échographie<br />
expriment leur ressenti au cours de<br />
l’échographie. Tout en tenant en main le<br />
cliché, ils relatent <strong>des</strong> émotions perçues<br />
lors de la visualisation <strong>des</strong> images sur<br />
l’écran. Le cliché devient un support pour<br />
l’élaboration de l’impact <strong>des</strong> images de<br />
l’intérieur du ventre maternel projetées<br />
par l’échographiste sur un écran. Les<br />
participants racontent à quel point ils<br />
fixaient l’image du fœtus sur l’écran.<br />
Ainsi Mme A relate lors de la première<br />
échographie : « On était rivé sur l’image<br />
à vouloir regarder comment ça se passe ».<br />
Tous expriment avec emphase leur satisfaction<br />
: « Que du bonheur ! », « C’était<br />
génial » expriment M. et Mme B. Ils se<br />
souviennent s’être sentis dans un « état<br />
d’excitation », d’« effervescence ». Après<br />
l’examen. M. D se sentait « sur un petit<br />
nuage ».<br />
L’image a quelque chose de brutal.<br />
Quand bien même les échographistes<br />
fournissent <strong>des</strong> commentaires, l’image<br />
arrive d’un seul coup à la perception, sans<br />
détour par l’élaboration. Cette irruption<br />
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