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Même - Revue des sciences sociales

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Benoît Bruant Le portrait du Grand Patron<br />

Nicolas Koechlin (1781-1852 ). Copie d’après Claude Marie Dubufe vers<br />

1852. Document Bibliothèque – Médiathèque de Mulhouse<br />

s’aperçoit cependant qu’un nombre significatif<br />

d’entre elles sont peintes par <strong>des</strong><br />

artistes bâlois ou suisses de renom ou<br />

encore <strong>des</strong> portraitistes de cours de passage<br />

dans la région. La sévérité qui s’en<br />

dégage découle autant de la réalité <strong>des</strong><br />

mœurs et de la « rusticité » <strong>des</strong> modèles<br />

qu’elle ne constitue un écho tangible du<br />

portrait hollandais. Nous pourrions conclure<br />

hâtivement à une filiation longue<br />

<strong>des</strong> représentations qui nous intéressent si<br />

la présence d’un nombre important d’œuvres<br />

d’influence aristocratiques ne venait<br />

contredire l’analyse. Dans un raccourci<br />

un peu hardi nous pouvons affirmer que<br />

toutes les mo<strong>des</strong> et les artistes à la mode<br />

du genre vont durant près de trois siècles<br />

imprimer leur marque sur la pratique<br />

locale mais sans en altérer l’austérité<br />

native teintée d’un lointain écho caravagesque.<br />

Si l’artiste est de renom c’est<br />

surtout parce qu’il assure la fidélité de<br />

la représentation qui donne cette capacité<br />

dont a parlé Alberti de rendre l’absence<br />

présente. Mais à la différence de ce qu’affirme<br />

le grand maître, la tentation de l’art<br />

apparaît ici bien lointaine.<br />

Les portraits narratifs peints à Mulhouse<br />

se comptent sur les doigts d’une<br />

main, la simplicité voulue accentue<br />

les critères liés à la ressemblance physique.<br />

Dans ce monde où la famille<br />

règne en dominatrice quasi exclusive, la<br />

peinture se soumet avec obéissance aux<br />

contraintes de la seule vérité historique.<br />

En 1903 la rétrospective consacrée par<br />

le Musée <strong>des</strong> Beaux-arts au portraitiste<br />

Josué Dollfus eut un impact très profond<br />

sur une bourgeoisie en passe de devenir<br />

une diaspora « Les miniatures […] ne<br />

sont pas seulement de charmantes œuvres<br />

d’art, elles sont « ressemblantes » c’est<br />

à dire qu’elles évoquent l’image aussi<br />

exacte que possible de ceux ou de celles<br />

dont elles veulent fixer le souvenir » 2 .<br />

La remarque faite par un artiste apparaît<br />

banale mais elle souligne encore une fois<br />

la docilité constante de la représentation.<br />

Cette absence d’autonomie confère au<br />

portrait bourgeois un statut réellement<br />

particulier. La primauté du sujet sur la<br />

manière de l’artiste conduit à l’abondance<br />

<strong>des</strong> copies de toutes échelles et,<br />

de fait, l’intérêt relatif porté aux originaux.<br />

Les portraits ne peuvent constituer<br />

<strong>des</strong> éléments de patrimoine ordinaires,<br />

d’ailleurs ils désobéissent aux règles de<br />

transmission courantes puisqu’ils ne sont<br />

souvent pas mentionnés dans les inventaires<br />

après décès 3 .<br />

La richesse du patrimoine local atteste<br />

de l’ampleur du fait de société. En dehors<br />

de la miniature, tellement plébiscitée que<br />

plusieurs artistes locaux de très bonne<br />

tenue s’y sont entièrement consacrés<br />

au dix neuvième siècle 4 , le phénomène<br />

s’allie à la généalogie pour produire un<br />

ouvrage étonnant appelé « portraits mulhousiens<br />

» Son auteur et éditeur Camille<br />

Schlumberger, artiste de formation et<br />

industriel, a passé plusieurs années de sa<br />

vie au début de 20 e siècle à répertorier et<br />

faire photographier par les techniciens<br />

de la maison Braun les représentations<br />

de tous les ancêtres <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> familles<br />

protestantes de Mulhouse 5 . Cette véritable<br />

galerie collective qui circule dans le<br />

monde restreint « <strong>des</strong> familles » est distinguée<br />

par la Société Industrielle d’une<br />

médaille d’argent. Il y peu de familles<br />

qui n’en possèdent au moins un exemplaire<br />

6 . Dans la suite logique du même<br />

engouement, un musée privé dévolu à la<br />

mémoire généalogique est fondé en 1912.<br />

Le musée <strong>des</strong> familles Dollfus, Mieg et<br />

Koechlin n’est pratiquement composé<br />

que de portraits 7 .<br />

Cet enthousiasme étonnant interroge<br />

d’autant que le prestigieux Salon de Mulhouse<br />

qui au début du siècle égale le<br />

chiffre d’affaire de celui de Bordeaux,<br />

considéré comme l’un <strong>des</strong> plus importants<br />

de l’Hexagone 8 , ne renvoie pas la<br />

même réalité. L’analyse <strong>des</strong> catalogues<br />

démontre, à contrario d’autres manifestations<br />

similaires en France, que ce genre<br />

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