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Même - Revue des sciences sociales

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126<br />

Nos relations aux images<br />

Une approche psychanalytique<br />

S i<br />

tout homme s’engage dans la<br />

fabrication ou la consommation<br />

d’images, c’est parce qu’il est luimême<br />

un dispositif d’images. Ce sont<br />

les relations que nous établissons avec<br />

celles qui nous habitent qui constituent<br />

le prototype <strong>des</strong> liens que nous construisons<br />

avec celles qui nous entourent.<br />

Ces relations ont toujours deux aspects<br />

complémentaires : s’immerger dans les<br />

images ou au contraire prendre du recul<br />

par rapport à elles.<br />

« Devant »<br />

et « dans » l’image ■<br />

Ces deux caractères tirent leur origine<br />

de notre histoire précoce. Lorsque, tout<br />

petit, nous avons découvert les images,<br />

c’était sous la forme de sensations complexes<br />

mêlant de manière inséparable<br />

<strong>des</strong> éléments visuels, cénesthésiques,<br />

moteurs et émotionnels de telle façon<br />

que nous y étions pris bien plus que<br />

nous ne les maîtrisions. La posture du<br />

bébé par rapport aux images est proche<br />

de celle du rêveur qui se sent faire partie<br />

du rêve qu’il produit. C’est pourquoi,<br />

lorsqu’il a faim et tarde à être nourri,<br />

il est capable de s’apaiser spontanément<br />

en se créant une hallucination qui<br />

reproduit l’ensemble <strong>des</strong> satisfactions<br />

normalement consécutives à la tétée.<br />

Il est alors « dans » l’image, éprouvant<br />

<strong>des</strong> sensations, <strong>des</strong> émotions et <strong>des</strong> états<br />

du corps mêlés indissolublement à <strong>des</strong><br />

représentations visuelles.<br />

C’est seulement dans un second temps<br />

que le bébé acquiert la possibilité de distinguer<br />

entre une image intérieure – par<br />

exemple le visage de sa mère qu’il voit à<br />

l’intérieur de lui alors qu’elle est absente<br />

de son champ visuel – et les informations<br />

que lui donnent ses organes <strong>des</strong> sens<br />

– par exemple la perception qu’il a de sa<br />

mère quand elle se trouve à côté de lui.<br />

Bref, il différencie les représentations<br />

visuelles d’objets devant lesquels il se<br />

trouve <strong>des</strong> images à l’intérieur <strong>des</strong>quelles<br />

il peut plonger en imagination. Mais<br />

cette découverte essentielle est aussi à<br />

l’origine d’une indicible nostalgie. C’est<br />

pourquoi l’homme n’a de cesse que de<br />

s’entourer d’images qui lui permettent<br />

de revivre à volonté les illusions qui ont<br />

marqué son entrée dans la vie. Il construit<br />

<strong>des</strong> dispositifs dans lesquels il entre<br />

en oubliant provisoirement que c’est lui<br />

qui les a fabriqués et en y croyant comme<br />

à la réalité. Mais comme ce désir lui fait<br />

en même temps très peur, il se ménage<br />

toujours une porte de sortie. C’est la<br />

« distance critique » face aux images,<br />

qui n’est rien d’autre que le fait de se<br />

placer « devant » et de les regarder de<br />

l’extérieur en refusant d’y entrer et d’y<br />

croire.<br />

Tous les dispositifs d’images – depuis<br />

la peinture jusqu’aux espaces virtuels<br />

SERGE TISSERON<br />

Psychiatre et psychanalyste<br />

Directeur de recherches<br />

Université Paris 10 – Nanterre<br />

en passant par le cinéma et la télévision<br />

– répondent à ces deux objectifs<br />

complémentaires, et on peut parier que<br />

les prochains y obéiront encore. Ils aménagent<br />

l’illusion d’une présence réelle<br />

<strong>des</strong> objets qui y sont représentés, mais<br />

ils assurent en même temps la possibilité<br />

pour chacun de lever à volonté la<br />

confusion. Dans l’Antiquité, les statues<br />

qui décoraient les temples étaient peintes,<br />

ce qui augmentait considérablement<br />

leur réalisme, et l’écran de cinéma est<br />

inséparable du désir d’être soi-même à<br />

l’intérieur du film. C’est ce que montre<br />

la peur qui saisissait les spectateurs<br />

<strong>des</strong> premières projections publiques<br />

– comme L’entrée du train en gare de<br />

La Ciotat réalisé par les frères Lumière<br />

– ou les rêveries de Woody Allen dans La<br />

Rose pourpre du Caire.<br />

C’est pourquoi il ne faut pas s’inquiéter<br />

du fait que l’homme fabrique<br />

<strong>des</strong> images de plus en plus réalistes et<br />

qui constituent <strong>des</strong> espaces où rencontrer<br />

d’autres humains, comme le montrent<br />

aujourd’hui les jeux vidéo en réseau<br />

dans lesquels les joueurs communiquent<br />

entre eux par avatars interposés. Car<br />

l’homme dispose en même temps du<br />

moyen de prendre de la distance par rapport<br />

à ces espaces grâce à la possibilité<br />

de les transformer.<br />

De ce fait, les images matérielles qui<br />

nous entourent sont bien plus que <strong>des</strong><br />

supports de significations manifestes ou

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