24.11.2012 Views

Même - Revue des sciences sociales

Même - Revue des sciences sociales

Même - Revue des sciences sociales

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Michel Barbot Calligraphie, arabesque et structures lexicales<br />

du système langagier et de la culture<br />

diversifi ée qu’il avait sustentée. Si l’on<br />

considère que, bien avant l’Islam, <strong>des</strong> foires<br />

séculaires attiraient, de toute la Péninsule<br />

arabique et <strong>des</strong> marches du Croissant<br />

Fertile, <strong>des</strong> foules avi<strong>des</strong> de beau langage<br />

et de joutes poétiques couronnées de<br />

faveurs, on prend conscience que cette<br />

langue, comme ses locuteurs restés en<br />

marge de l’Histoire, <strong>des</strong> empires mésopotamiens,<br />

<strong>des</strong> royaumes de Canaan, <strong>des</strong><br />

voies ouvertes en Méditerranée et autour<br />

de l’Afrique par leurs cousins phéniciens,<br />

loin <strong>des</strong> fastes immémoriaux de la civilisation<br />

nilotique et de ses Pharaons, avait<br />

conçu et mûri dans son oralité farouche le<br />

plus puissant <strong>des</strong> moyens d’expression, le<br />

plus apte à unir sous la bannière du Prophète<br />

<strong>des</strong> peuples de toutes origines.<br />

La suite allait le démontrer, aux<br />

VII e -VIII e siècles, avec les Omeyya<strong>des</strong><br />

de Damas qui en fi rent la langue d’administration<br />

de leurs immenses possessions,<br />

avec la fondation de Bagdad au cœur du<br />

nouvel empire abbasside (contemporain<br />

de nos Carolingiens) et sa Maison de<br />

la Sagesse: centre offi ciel d’arabisation<br />

<strong>des</strong> philosophies, <strong>sciences</strong> et techniques<br />

héritées <strong>des</strong> voisins de l’Antiquité, et peu<br />

à peu <strong>des</strong> novations importées de la plus<br />

lointaine Asie (papier, soie, thé, boussole,<br />

etc.). Impulsée par le verset Dis :<br />

Seigneur, fais-moi croître en savoir, une<br />

activité de recherche tous azimuts fi t de<br />

ce que nous nommons Moyen Age islamique<br />

une <strong>des</strong> plus brillantes pério<strong>des</strong> de<br />

la connaissance humaine. Et de l’usage<br />

de l’arabe, la voie incontournable de ses<br />

progrès, y compris par la transmission<br />

vers l’Occident <strong>des</strong> ouvrages traduits du<br />

grec …<br />

Fig. 1 – Calligramme formant un polygone étoilé, où les lettres se mêlent à l’ornement. Source :<br />

Mosquée Al Bardini, Le Caire, XVII e siècle.<br />

Son véhicule graphique, l’alphabet<br />

arabe, s’est décliné jusqu’à nos jours<br />

à travers une multitude de styles et de<br />

supports. Le spécialiste comme l’amateur<br />

ne peuvent que reconnaître l’aptitude<br />

essentielle de ses éléments modulaires<br />

à l’alliance intime du géométrique et de<br />

la fantaisie, à l’entrelacs le plus élégant<br />

<strong>des</strong> droites et <strong>des</strong> courbes, au jeu illimité<br />

d’une esthétique à la fois souple et<br />

rigoureuse. La sensation de vie intérieure<br />

qui anime les surfaces ainsi décorées<br />

s’explique par le développement indéfi ni<br />

<strong>des</strong> relations entre leurs composants, par<br />

le jeu contrasté <strong>des</strong> formes planes et <strong>des</strong><br />

couleurs, par l’absence de frontières entre<br />

le fermé et l’ouvert. Les hampes mêmes<br />

de l’alif (Â) et du lâm (L) en viennent à<br />

vibrer optiquement sous le roseau taillé<br />

du calligraphe. L’Europe médiévale que<br />

fascinait l’inépuisable ornementation de<br />

ces Sarrazins « hérétiques », leur achetait<br />

ses armes damasquinées, ses brocarts<br />

d’or et d’argent <strong>des</strong>tinés à ses vêtures<br />

d’apparat, et, quoi qu’elle en eût, aux<br />

châsses de ses saints et aux chasubles<br />

de ses prêtres. Mais surtout, consciente<br />

de l’indissoluble harmonie entre cette<br />

écriture, cette langue et ses peuples, elle a<br />

donné à leur esthétique décorative le nom<br />

d’arabesque, qui résume et dit tout.<br />

Les livres d’art en parlent d’abondance<br />

depuis près de deux siècles en Occident.<br />

Je me limiterai aux gran<strong>des</strong> lignes d’une<br />

hypothèse argumentée qui prend relief<br />

toujours davantage à la lumière de mes<br />

travaux sur la structuration profonde du<br />

système lexical. Certes, <strong>des</strong> motivations<br />

religieuses ont donné la prééminence en<br />

Islam aux représentations abstraites et<br />

aux stylisations du vivant, sur le fi guratif.<br />

Mais, si l’on tient compte de la liaison<br />

intangible du langage et de la pensée,<br />

et du fait que toute culture en est l’émanation,<br />

d’autres facteurs intellectuels,<br />

voire affectifs, doivent avoir joué dans le<br />

choix du géométrique et de la stylisation<br />

(parfois extrême) <strong>des</strong> formes végétales.<br />

Sur ce point, on ne peut prendre pour<br />

coïncidence le développement arabe<br />

de l’algèbre et de la trigonométrie, la<br />

transmission du zéro (chiffre diabolique<br />

pour le Moyen Age chrétien), du système<br />

décimal et de la numération de position,<br />

la division du temps en fractions égales<br />

de jour comme de nuit, le développement<br />

<strong>des</strong> instruments d’observation, et autres<br />

nouveautés scientifi ques qui allaient<br />

161

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!