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Même - Revue des sciences sociales

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Ephraim Meir Les anthropomorphismes dans la Bible et la tradition juive<br />

ras bord de son sens divin suprasensible ;<br />

comme le langage lui-même, l’amour<br />

est à la fois sensible et suprasensible.<br />

Autrement dit : la parabole n’est pas à<br />

son égard un accessoire décoratif, il est<br />

pour lui essence. Il se peut que toute<br />

réalité éphémère ne soit qu’une parabole ;<br />

or, l’amour n’est pas ‘seulement’, mais<br />

intrinsèquement et par essence, parabole ;<br />

il n’est éphémère qu’en apparence, mais<br />

en vérité il est éternel. Cette apparence<br />

est aussi nécessaire que cette vérité ;<br />

comme amour, l’amour ne pourrait être<br />

éternel s’il ne semblait être passager ;<br />

mais dans le reflet de cette apparence, se<br />

reflète immédiatement la vérité » 9 .<br />

Dans la relation même de deux personnes,<br />

il s’agit de la relation entre Dieu<br />

et l’homme. Et c’est dans cette relation<br />

que les anthropomorphismes reçoivent<br />

leur sens plénier. Dans l’anthropomorphisme,<br />

dans le langage humain, passe<br />

le langage divin : « Les voies de Dieu et<br />

les voies de l’homme divergent, mais la<br />

parole de Dieu et la parole de l’homme<br />

sont identiques » 10 . On sent l’authentique<br />

parole humaine comme sortie de la<br />

bouche de Dieu : c‘est le dehors dans le<br />

dedans 11 .<br />

What’s in a word ?<br />

L’erreur de la compréhension <strong>des</strong><br />

anthropomorphismes comme « images »<br />

consiste à penser que les mots n’ont<br />

qu’une seule signification, notamment la<br />

signification littérale. Ce n’est que dans<br />

le positivisme linguistique que chaque<br />

mot exprime quelque chose qui est connu<br />

et objectivement <strong>des</strong>criptible. Dans cette<br />

pensée, il y a la perception naïve que le<br />

langage n’est qu‘empiriquement référentiel,<br />

qu’il est identique à ce qu’il désigne.<br />

C’était Wittgenstein qui remarquait que<br />

lorsqu’on parle du doigt divin, il ne s’agit<br />

pas d’une image qui réfère à autre chose,<br />

comme l’image d’une plante exotique<br />

réfère à la plante même.<br />

Le langage est plus qu’un instrument<br />

de cognition, plus que dénotatif. On<br />

ne peut le réduire à quelque chose de<br />

fonctionnel. Dans le langage-image on<br />

prétend connaître le Transcendant. Mais<br />

le Transcendant est plutôt approchable<br />

dans un langage clignotant, suggestif,<br />

évocateur, sans la prétention de connaître<br />

le Transcendant.<br />

Le langage biblique se présente selon<br />

T. Ramsey 12 comme « langage de profondeur<br />

» (« depth-language »), pour la<br />

compréhension duquel deux conditions<br />

sont nécessaires : la profondeur objective<br />

d’une réalité (« disclosure ») et le<br />

consentement subjectif (« engagment »).<br />

Cette profondeur en réalité est toujours<br />

indiquée non dans un langage <strong>des</strong>criptif,<br />

mais dans un langage particulier (« odd<br />

language »).<br />

L’image et la définition de Dieu versus<br />

son Nom<br />

Dans son style qui n’est pas conceptuel,<br />

mais cohérent dans ses évocations,<br />

A. J. Heschel a bien illustré ce que nous<br />

venons de décrire 13 .<br />

Dans la théologie <strong>des</strong> profondeurs de<br />

Heschel, le texte de l’Écriture mélange<br />

le divin et l’humain. On ne peut séparer<br />

ce qui est divin et un peu moins que<br />

divin. Les mots bibliques sont pour Heschel<br />

comme pour Rosenzweig, le résultat<br />

d’une rencontre. Il y a dans le texte<br />

biblique autonomie humaine et en même<br />

temps obéissance à Dieu.<br />

Les paroles bibliques et les paroles<br />

religieuses en général ne sont pour Heschel<br />

ni concepts ni images. L’image en<br />

tant qu’icône de l’ineffable est idolâtrique.<br />

L’image brouille et nous éloigne de<br />

l’intuition de l’ineffable dans lequel on<br />

ne comprend pas ce qui est <strong>des</strong>criptible,<br />

mais on sent ce qui est ineffable 14 . Selon<br />

Heschel, qui s’approche ici beaucoup<br />

de Rosenzweig, l’image de Dieu ou sa<br />

définition induisent en erreur, tandis que<br />

le Nom échappe à toute définition.<br />

Heschel refuse l’imagerie verbale<br />

comme l’imagerie plastique : « […] la<br />

poésie est à la religion ce que l’analyse<br />

est à la science et ce n’est certainement<br />

pas par hasard que la Bible n’a pas été<br />

écrite more geometrico, mais dans la<br />

langue <strong>des</strong> poètes » 15 .<br />

Deux citations illustrent la sensibilité<br />

de Heschel pour le langage religieux en<br />

tant que langage évocateur :<br />

« Cependant, affirmer que les mots ne<br />

sont rien d’autre que <strong>des</strong> bêtes de somme<br />

mentales [<strong>des</strong> signes dénotatifs], ce serait<br />

commettre la même erreur que de ne voir,<br />

dans la personne qui porte nos bagages<br />

au train, rien d’autre qu’un porteur. L’essence<br />

d’une personne n’est pas de porter<br />

<strong>des</strong> bagages, et l’essence du mot n’est pas<br />

d’être un signe. Nous devons faire la différence<br />

entre la substance et la fonction,<br />

entre la nature essentielle d’un mot et la<br />

manière dont nous l’utilisons » 16 .<br />

« Les mots <strong>des</strong>criptifs […] sont rigidement<br />

associés à <strong>des</strong> significations conventionnelles<br />

et bien définies ; ce sont<br />

les noms concrets (« chaise », « table »,<br />

etc.) et les termes scientifiques. De leur<br />

côté, les mots indicatifs sont librement<br />

associés à <strong>des</strong> significations ineffables<br />

: au lieu de décrire, ils se bornent à suggérer<br />

ce que nous révèle l’intuition sans<br />

que nous le comprenions pleinement.<br />

Le contenu <strong>des</strong> mots tels que « Dieu »,<br />

« temps », « beauté », « éternité », ne peut<br />

être imaginé ou reproduit fidèlement par<br />

notre esprit. Ils transmettent pourtant une<br />

signification abondante à notre sens de<br />

l’ineffable. […] Plutôt qu’un souvenir,<br />

ils [les mots indicatifs] évoquent une<br />

réponse, <strong>des</strong> idées ignorées jusque-là,<br />

<strong>des</strong> significations non encore pleinement<br />

comprises » 17 .<br />

Mots et richesse de la réalité<br />

Edward Kaplan écrit bien que Heschel<br />

a retourné l’ordre « mot » et « réalité ».<br />

Les signes ne se référent pas simplement<br />

à la réalité. A la lumière <strong>des</strong> signes, on<br />

comprend mieux la richesse de la réalité.<br />

Avec les mots de Heschel :<br />

« Dans la prière comme dans la poésie,<br />

nous nous tournons vers les mots,<br />

non pour les utiliser comme <strong>des</strong> signes<br />

représentant les choses, mais pour voir<br />

les choses à la lumière <strong>des</strong> mots » 18 .<br />

La Bible est donc pour Heschel sainteté<br />

en paroles. Dans sa pensée théocentrique,<br />

le discours biblique véhicule le<br />

pathos divin, le souci émotionnel de Dieu<br />

pour l’homme :<br />

« Les affirmations concernant le<br />

pathos [divin] ne représentent pas un<br />

compromis, un moyen d’ajuster les significations<br />

supérieures au niveau inférieur<br />

de l’entendement humain. Ils constituent,<br />

au contraire, un ajustement <strong>des</strong> mots aux<br />

significations supérieures. Les termes<br />

utilisés pour les dénotations psychologiques<br />

sont dotés de connotations théologiques<br />

» 19 .<br />

La formule « Dieu a dit » n’est certainement<br />

pas symbolique pour Heschel.<br />

Dans sa pensée théocentrique, ce texte<br />

porte autre chose que soi-même : « Ce qui<br />

est littéralement vrai pour nous devient<br />

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