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Même - Revue des sciences sociales

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156<br />

Problèmes de<br />

l’aniconisme à Rome<br />

Le témoignage de Varron 1<br />

M û<br />

par une piété très exigeante,<br />

aux accents pleins de ferveur,<br />

et par un sentiment aigu de<br />

la toute-puissance du divin, Varron ne<br />

manqua pas de s’interroger aussi sur les<br />

fondements théologiques de la représentation<br />

figurée <strong>des</strong> dieux. Entre les images<br />

liturgiques et leurs modèles divins quelle<br />

relation établir – celle d’une transparence<br />

absolue du sacré ou celle d’un obstacle<br />

infranchissable à sa manifestation ?<br />

Allait-il, dans l’esprit même de la foi<br />

cosmique à laquelle il adhérait, défendre<br />

et illustrer la thèse de l’aniconisme cultuel<br />

<strong>des</strong> origines ou, au contraire, fidèle<br />

en cela au mos maiorum, à la « tradition<br />

<strong>des</strong> ancêtres », exalter les vertus du polythéisme<br />

anthropomorphe de ses pères ?<br />

Force est de constater que ces deux postulations<br />

antagonistes coexistent dans la<br />

pensée du Réatin et qu’elles inspirent<br />

tour à tour, selon l’optique choisie, ses<br />

analyses religieuses les plus fines.<br />

Et de fait, dans un premier mouvement,<br />

l’érudit sabin tend à considérer<br />

comme plus pure une piété exempte<br />

d’images. Il affirme même que la religion<br />

romaine archaïque n’en aurait point<br />

connue et qu’ainsi elle représenterait une<br />

forme de vénération mieux accordée à la<br />

majesté <strong>des</strong> immortels : antiquos Romanos<br />

plus annos centum et septuaginta<br />

deos sine simulacro coluisse. Quod si<br />

adhuc... mansisset, castius dii obseruarentur...<br />

qui primi simulacra deorum<br />

populis posuerunt, eos ciuitatibus suis et<br />

metum dempsisse et errorem addidisse 2 .<br />

Dans cette vision varronienne <strong>des</strong> débuts<br />

du culte national marqués, selon l’auteur,<br />

par une longue période d’aniconisme<br />

de plus de 170 ans l’avènement <strong>des</strong><br />

premiers simulacres divins se situerait<br />

donc vers 580 av. J.-C., c’est-à-dire sous<br />

le règne de Tarquin l’Ancien – à propos<br />

duquel l’histoire enseigne qu’il fit venir<br />

d’Étrurie l’artiste Volca, afin de lui commander<br />

une statue colossale de Jupiter<br />

pour le Capitole 3 .<br />

Et c’est dans le prolongement direct<br />

de cette méditation empreinte de nostalgie<br />

sur le culte aniconique <strong>des</strong> premiers<br />

Romains qu’il convient de situer l’évocation<br />

de la personnalité de Numa, ce<br />

législateur religieux auquel Varron prête<br />

à l’égard de l’imagerie divine une attitude<br />

foncièrement négative et critique :<br />

Numa... hydromantiam facere compulsus<br />

est, ut in aqua uideret imagines deorum...<br />

a quibus audiret, quid in sacris constituere<br />

atque obseruare deberet. Quod<br />

genus diuinationis idem Varro a Persis<br />

dicit allatum, quo et ipsum Numam et<br />

postea Pythagoram philosophum usum<br />

fuisse commemorat 4 .<br />

Le recours supposé du roi sabin à l’art<br />

divinatoire comme source d’inspiration<br />

surnaturelle correspond indubitablement<br />

à une conception très épurée de la religion<br />

qui récuse les formes traditionnelles<br />

de la dévotion populaire – agenouille-<br />

YVES LEHMANN<br />

Université Marc Bloch, Strasbourg<br />

<br />

ment, imploration et surtout prosternation<br />

devant les simulacres sacrés <strong>des</strong><br />

dieux. Qui plus est : la dimension philosophique<br />

ainsi reconnue à la pietas<br />

numaéenne se trouve encore renforcée<br />

par la mention du sage de Samos 5 dont le<br />

Réatin approuvait le mépris pour toutes<br />

les manifestations extérieures de la foi.<br />

Du reste c’est au nom du même idéal<br />

de dépouillement rituel et d’absence de<br />

figuration divine que Varron rend hommage<br />

aux Juifs de ce qu’ils s’adressaient<br />

à un Dieu dépourvu de tout aspect<br />

anthropomorphe : cui sententiae suae<br />

(sc. de cultu deorum sine simulacris)<br />

testem adhibet inter cetera etiam gentem<br />

Iudaeam 6 . D’une manière générale, tout<br />

se passe, pour le Réatin, comme si le respect<br />

dû aux immortels, la reconnaissance<br />

du mystère et de la grandeur de leur condition<br />

se révélaient incompatibles avec<br />

les pratiques sacrificielles les plus communes.<br />

C’est ainsi que, dans un passage<br />

consacré à la vanité <strong>des</strong> offran<strong>des</strong> humaines,<br />

il oppose très fortement les dieux<br />

abstraits, invisibles, <strong>des</strong> philosophes aux<br />

dieux figuratifs créés par les sculpteurs<br />

et les potiers, soulignant l’indiscutable<br />

supériorité <strong>des</strong> premiers sur les seconds :<br />

dii ueri neque <strong>des</strong>iderant (sc. sacra)<br />

neque deposcunt, ex aere autem facti,<br />

testa, gypso uel marmore multo minus<br />

haec curant ; carent enim sensu; neque<br />

ulla contrahitur, si ea non feceris, culpa,<br />

neque ulla, si feceris, gratia 7 .

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