Untitled - Opéra de Lyon
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ORPHÉE DANS LES MÉTAMORPHOSES<br />
la charrue et que, non loin <strong>de</strong> là, préparant la récolte à force<br />
<strong>de</strong> sueurs, <strong>de</strong>s paysans aux bras vigoureux creusaient le sol<br />
dur <strong>de</strong> leurs champs. A la vue <strong>de</strong> la troupe <strong>de</strong>s Ména<strong>de</strong>s, ils<br />
s’enfuient et abandonnent leurs instruments <strong>de</strong> travail. A travers<br />
les champs désertés gisent en désordre çà et là sarcloirs,<br />
lour<strong>de</strong>s herses, longs hoyaux. Après s’en être emparées, après<br />
avoir mis en pièce les bœufs qui les menaçaient <strong>de</strong> leurs<br />
cornes, les Ména<strong>de</strong>s forcenées reviennent en courant consommer<br />
la perte du chantre divin. Il tend les mains et prononce<br />
<strong>de</strong>s mots pour la première fois, à cette heure, sans<br />
effet, sa voix n’éveille plus d’émotion ; ces femmes sacrilèges<br />
l’achèvent. Et par cette bouche, hélas ! ô Jupiter, qu’avaient<br />
écoutée les rochers et comprise les bêtes sauvages, son âme<br />
s’exhala et fut emportée par les vents.<br />
Tu fus, Orphée, pleuré par les oiseaux affligés, par la<br />
troupe <strong>de</strong>s bêtes sauvages, par les durs rochers, par les forêts<br />
qu’entraînèrent souvent tes chants. Laissant choir ses feuilles,<br />
l’arbre, la tête rase, prit ton <strong>de</strong>uil ; les fleuves aussi, dit-on,<br />
furent grossis <strong>de</strong> leurs propres larmes ; les Naïa<strong>de</strong>s et les<br />
Drya<strong>de</strong>s prirent <strong>de</strong>s voiles assombris <strong>de</strong> noir et laissèrent<br />
épars leurs cheveux. Les membres d’Orphée gisent dispersés.<br />
Tu reçois sa tête, ô Hèbre, et sa lyre ; et – prodige ! – tandis<br />
qu’elle est emportée au milieu <strong>de</strong> ton fleuve, cette lyre plaintivement<br />
fait entendre je ne sais quels reproches, plaintivement<br />
la langue privée <strong>de</strong> sentiment murmure, plaintivement répon<strong>de</strong>nt<br />
les rives. [...]<br />
L’ombre d’Orphée <strong>de</strong>scend sous la terre ; les lieux qu’il<br />
avait vus auparavant, il les reconnaît tous ; il parcourt, en<br />
quête d’Eurydice, les champs réservés aux âmes pieuses, il la<br />
trouve, il la serre passionnément dans ses bras. Là, tantôt ils<br />
errent tous <strong>de</strong>ux, réglant leur pas l’un sur l’autre, tantôt elle<br />
le précè<strong>de</strong> et il la suit, tantôt, marchant le premier, il la <strong>de</strong>vance<br />
; et Orphée, en toute sécurité, se retourne pour regar<strong>de</strong>r<br />
son Eurydice.<br />
Traduction <strong>de</strong> Jacques Chamonaud,<br />
© Garnier-Flammarion, 1966