Untitled - Opéra de Lyon
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JEAN BOIVIN<br />
Lorsqu’il reprit cette analyse <strong>de</strong> l’O r f e o au début <strong>de</strong>s<br />
années soixante, Messiaen fit part à ses élèves <strong>de</strong>s ressemblances<br />
qu’il voyait entre l’époque contemporaine et celle où<br />
avait vécu et œuvré Monteverdi. On se trouvait alors,<br />
explique-t-il, à un point <strong>de</strong> confluences <strong>de</strong> diverses conceptions<br />
<strong>de</strong> l’art ; les esthétiques les plus opposées coexistaient.<br />
Les fon<strong>de</strong>ments même du langage étaient remis en question.<br />
Les mo<strong>de</strong>s grégoriens étaient-ils dépassés ? Fallait-il tout<br />
résumer en <strong>de</strong>ux mo<strong>de</strong>s, majeur et mineur, et perdre le plaisir<br />
<strong>de</strong>s couleurs modales ? Allait-on utiliser ces claviers grossiers<br />
mais plus précis que la voix, inégale en expressivité ? Il<br />
en va <strong>de</strong> même à notre époque, dit-il. En <strong>de</strong>s jours qui voient<br />
naître <strong>de</strong>s œuvres comme Poésie pour pouvoir <strong>de</strong> Boulez ou<br />
K o n t a k t e <strong>de</strong> Stockhausen, le système tonal paraît épuisé et<br />
les compositeurs se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt s’ils doivent se tourner vers<br />
les instruments électroniques.<br />
Non satisfait <strong>de</strong> ce premier pont jeté entre <strong>de</strong>s rives éloignées<br />
<strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la musique, Messiaen observe que le<br />
déroulement dramatique <strong>de</strong> l’opéra <strong>de</strong> Monteverdi n’est pas<br />
sans rappeler certaines conceptions orientales. Il songe par<br />
exemple au théâtre nô japonais, également très hiératique et<br />
réglé par une longue tradition relevant du sacré. Commentant<br />
l ’O r f e o dans son ensemble avant <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à l’examen<br />
minutieux <strong>de</strong> la partition, l’analyste note que le second air<br />
d’Orphée, au <strong>de</strong>uxième acte, constitue la première scène<br />
véritablement dramatique <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’opéra. Au regard<br />
<strong>de</strong> la structure, la reprise <strong>de</strong>s ritournelles donne <strong>de</strong> l’unité au<br />
drame. Par exemple, la reprise, à la fin <strong>de</strong> l’acte II, <strong>de</strong> la<br />
ritournelle du prologue, prend un caractère <strong>de</strong> leitmotiv.<br />
Quant aux chœurs, ils sont parfois écrits dans le plus pur<br />
style du madrigal. Le moment est bien choisi pour préciser<br />
que Monteverdi, dans son génie <strong>de</strong> l’accentuation juste du<br />
mot, a été aidé par la musicalité <strong>de</strong> la langue italienne, tout<br />
comme Moussorgsky, Wagner et Debussy seront portés par<br />
les qualités intrinsèques <strong>de</strong> leurs langues respectives.<br />
Comme toujours, Messiaen s’intéresse aux notes ornementales<br />
inhabituelles, curieuses ou particulièrement dissonantes,<br />
ainsi qu’à l’emploi <strong>de</strong>s anciens mo<strong>de</strong>s grégoriens. Ceux-ci se<br />
succè<strong>de</strong>nt rapi<strong>de</strong>ment dans l’O r f e o, ce qui contribue gran<strong>de</strong>ment<br />
selon lui à ménager <strong>de</strong>s contrastes entre les sections<br />
d’une même scène. Par exemple, à l’acte IV, la réaction<br />
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