Ce fleuve qui nous sépare - Eux et nous
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plus ouvertes. C'est dans c<strong>et</strong> espace de carré flou, de confort intellectuel, que va se<br />
faire bientôt entendre le staccato des mitraill<strong>et</strong>tes.<br />
Encore : dans tel atelier de fraisage, un ouvrier débite trois pièces à la minute. Toutes<br />
les heures, un contrôle est nécessaire. La pièce obéit-elle aux normes re<strong>qui</strong>ses ? Il faut<br />
pour le savoir la glisser dans un gabarit de contrôle. Si la pièce doit faire 27 mm, elle<br />
doit pouvoir entrer sans forcer dans le gabarit 27 + 1/10. Elle ne doit pas pouvoir<br />
entrer, même en forçant, dans le gabarit 27 - 1/10. <strong>Ce</strong>t espace de 2/10 de millimètres<br />
à l'intérieur duquel les limites de ma pièce peuvent licitement varier s'appelle : une<br />
tolérance. Si ma machine se m<strong>et</strong> à produire des pièces de trop grande tolérance, c'est<br />
qu'elle s'est imperceptiblement déréglée.<br />
L'intolérance va faire acte de naissance en Algérie dans l'espace exact ménagé par la<br />
trop grande tolérance.<br />
Encore : je conviens un matin, avec un ami d'Alger, d'un rendez-vous pour 16 heures.<br />
« C'est un rendez-vous arabe ! », me j<strong>et</strong>te-t-il en s'éloignant. C'est-à-dire à une demiheure,<br />
une heure près. Le 11 janvier 1992, 20 heures, sera le rendez-vous arabe de<br />
l'Algérie avec l'Algérie.<br />
C'est chose à considérer : les mitraill<strong>et</strong>tes vont nuire à la vie de votre peuple parce que<br />
votre peuple s'est autorisé trop longtemps au carré flou. La tragédie <strong>qui</strong> va bientôt<br />
obscurcir le soleil du Grand pays doit se lire posée sur un plateau de balance, de même<br />
poids que sur l'autre plateau une jouissance de la certitude que ne s'autorise plus le<br />
Premier monde.<br />
A aborder prématurément dans notre exposé la question de l'affrontement politique, ne<br />
sommes-<strong>nous</strong> pas sortis du périmètre carré de notre suj<strong>et</strong> ? Non, puisque la violence<br />
politique va s'autoriser comme bouclier à l'éventuel surgissement de la violence sociale<br />
<strong>qui</strong> <strong>nous</strong> occupe ici. <strong>Ce</strong> que les années FIS <strong>nous</strong> montrent, c'est que le temps du carré<br />
flou se clôt en Algérie. Les inconvénients en deviennent plus lourds à vivre que les<br />
avantages. Le maintien de l'ancien format de l'autotolérance fait couler le sang. Avec les<br />
années FIS, la modernité va faire résonner de son heurtoir les portes de l'Algérie. Si je<br />
n'accepte pas, dans la souffrance personnelle, de limiter, un peu, le flou de mon propre<br />
carré, je ne puis exiger de l'autre le joug de la reconnaissance, un peu, de ses propres<br />
limites, <strong>et</strong> la peur s'installe en moi de la liberté trop grande de l'autre. La modernité n'est<br />
pas valeur en soi, mais passage obligé.<br />
« Lis ! » 18<br />
Une réponse trouvée dans une cité perdue<br />
D'où peut venir, dans le futur non écrit de l'Algérie, le possible progrès de la violence<br />
sociale ? Evidemment de l'enfoncement dans la misère <strong>et</strong> du resserrement dans la<br />
promiscuité. Un journaliste d'Algérie actualité visitait un jour, effaré, les cités boueuses<br />
d'une p<strong>et</strong>ite ville perdue où s'entassaient dans le mésêtre des milliers de nos frères. Il se<br />
demandait, <strong>et</strong> cent fois je me suis posé la même question, comment l'explosion violente<br />
18 . Premier mot de la Révélation.<br />
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