Ce fleuve qui nous sépare - Eux et nous
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fossé pour le voir s'évanouir dans les termes les plus brefs. C'est là fiction. L'islamisme<br />
est la lame de fond pluridécennale d'un ressaisissement en autonomie contre les élites<br />
culturelles compradores.<br />
Au regard occidental, l'islamisme « réel » n'offre aucune séduction. L'Iran commença<br />
par exécuter des gens, la charia pratiquée dans le Soudan de Nemeiry ne fut rien<br />
d'autre que l'aveu public d'un désir de cruauté. De la fatwa contre Salman Rushdie aux<br />
obus lancés par le Hezb-e islami afghan contre les populations civiles, l'islamisme ne<br />
paraît être qu'appellation provisoire parmi d'autres de l'atavique barbarie humaine.<br />
Mais l'islamisme est une émergence autrement différenciée, aux contours bien plus<br />
flous que ne le fut le communisme du Komintern. L'islamisme constituant un désir de<br />
fond de masses arabes considérables, le Premier monde va-t-il s'autoriser une nouvelle<br />
guerre froide, en hérissant de défenses la rive nord d'une Mer de Berlin 6 , ou trouvera-t-il<br />
des articulations plus fines ? Ensuite, précisément parce qu'on trouve tout dans<br />
l'islamisme <strong>et</strong> le contraire de tout, je ne me hâte pas trop vers le prononcé du verdict.<br />
<strong>Ce</strong>rtains observateurs ont vu dans le FIS algérien, à le comparer aux propos libéraux<br />
d'un Rached Ghanouchi, visée rustique <strong>et</strong> butée. Je tiens au contraire le FIS algérien<br />
pour une des pages les mieux écrites d'un islamisme dont on n'a pas fini d'entendre<br />
parler.<br />
Le FIS ? Mais ce n'était pas mal du tout ! C'était très très intéressant !<br />
<strong>Ce</strong> <strong>qui</strong>, Cheikh Ali, n'est nul blanc-seing pour l'avenir. Saurez-vous, si le destin vous est<br />
faste, construire en Algérie, depuis la guidance de l'Islam, quelque chose de propre <strong>et</strong><br />
d'utile ? <strong>Ce</strong>lui <strong>qui</strong>, en tout cas, prétend pouvoir répondre hic <strong>et</strong> nunc à c<strong>et</strong>te question<br />
est un bien gros menteur. C'est parce que je n'en sais rien que je vois urgence à ce que<br />
les démocrates, <strong>et</strong> surtout bien sûr les démocrates algériens, s'adressent à vous pour<br />
vous contraindre à la précision du proj<strong>et</strong>.<br />
Les Algériens sont très seuls<br />
Les islamistes algériens, regardons ce point pour n'y plus revenir, ont eu le mérite<br />
d'embrasser du regard la planète pour entendre que l'Algérie était seule.<br />
Il est possible que vos ennemis politiques, les modernistes, n'apprécient pas avec assez<br />
d'acuité l'ampleur des bouleversements <strong>qui</strong> étreignent les humains. Car la météo<br />
mondiale n'annonce guère le beau fixe.<br />
La dislocation du glacis communiste fait entendre après coup une onde de choc<br />
puissante, <strong>qui</strong> va remuant le sol de l'ensemble des peuples. Le Premier monde a gagné<br />
la guerre froide par abandon de l'adversaire, <strong>et</strong> montre à la planète, avec la chute des<br />
draperies idéologiques, l'étendard nu <strong>qui</strong> précède ses cohortes : la loi du marché, de<br />
plus en plus n<strong>et</strong>toyée du décorum de la liberté, se dévoile comme arête vive <strong>et</strong> froide<br />
dont beaucoup craignent la blessure.<br />
6<br />
. Mot de Jacques Roseau, in La Guerre d'Algérie. Trente ans après, dossier du Nouvel observateur, Paris<br />
1992.<br />
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