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Ce fleuve qui nous sépare - Eux et nous

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Dans ses travaux, Lahouari Addi voulut qu'il ne s'agît point là pour Chadli de s'enivrer<br />

tout à coup des parfums de la générosité, mais de constater qu'il n'avait plus les<br />

moyens de faire tourner l'énorme machinerie-providence. La démocratie, après tout,<br />

c'est ça : la société prend en charge ses affaires, l'Etat devient arbitre <strong>et</strong> c'est déjà<br />

beaucoup. Mais l'action de Chadli Bendjedid fut le contraire exact d'un calcul en profits<br />

<strong>et</strong> pertes. Elle fut subjective absolument. Elle fut le geste d'un homme <strong>qui</strong> était assis, <strong>et</strong><br />

<strong>qui</strong> se lève. Vous Cheikh Ali, <strong>qui</strong> pensez en Islam, ne lisez-vous point ici quelque chose<br />

de l'ordre de la rédemption ?<br />

Il se lève, il ne faiblira plus. « On se rend compte que ce n'était pas pour sauver<br />

l'Algérie » 3, dira après sa destitution un amoureux des sauveurs. Chadli fut homme<br />

providentiel de ce qu'il refusa justement la défroque de l'homme providentiel. Parti<br />

unique, pensée plombée <strong>et</strong> zaïmisme furent par lui dénoncés du même mot : plus<br />

jamais ça. Il ne faudra pas soixante-douze heures après sa disgrâce pour que ces maux<br />

déploient à nouveau en Alger leur cruel fléau.<br />

Il se lève, <strong>et</strong> très ému il dit le 10 octobre aux Algériens l'urgence de la réforme. On<br />

remarque qu'il ne cite jamais le FLN, il n'use pas du mot « militant », il s'adresse aux<br />

« citoyens ». Quand, trente-neuf mois plus tard, les gens de mitraill<strong>et</strong>tes réussiront à le<br />

prostrer derechef en un fauteuil, c'est du même geste à tous les Algériens qu'ils vont<br />

arracher c<strong>et</strong>te carte de citoyen que Chadli Bendjedid leur avait proposée ce jour-là en<br />

neuf certificat d'identité.<br />

Il se lève, <strong>et</strong> il marche. Il remue son monde, tisonne l'Algérie à grand bras. <strong>Ce</strong>t homme<br />

que l'on pensait figé dans l'indolence, alangui dans les délices, pousse à plein souffl<strong>et</strong><br />

les feux de la grande forge des réformes. La nomenclature, dans l'alarme, voit larguées<br />

sans préavis les amarres de la pensée unique. Les acculturés de la langue de bois se<br />

serrent en geignant sur un étroit radeau, s'agrippent aux certitudes évanouies, <strong>et</strong><br />

maudissent le sale temps <strong>qui</strong> menace. C'est la perestroïka à l'algérienne 5.<br />

Fin novembre, le sixième congrès du FLN sera « le plus grand rassemblement de<br />

l'opposition à Chadli depuis la fin des émeutes » 6. Mais la séparation des fonctions entre<br />

Parti <strong>et</strong> Etat est prononcée. Le FLN refuse le multipartisme. Chadli méprise les<br />

pusillanimes : « Si le peuple, après des débats démocratiques, arrive à la conviction »<br />

qu'il est nécessaire, le multipartisme adviendra. « Le peuple restera l'arbitre. »<br />

Le dernier suffrage sous régime de parti unique le réélit pour cinq années à la<br />

présidence (22 décembre). Les coudées franches, Chadli introduit le multipartisme dans<br />

le texte de la prochaine constitution, au grand dam des pintades affolées 7. Un<br />

référendum approuve le nouveau Texte fondamental.<br />

3. EW, 5/10/1992.<br />

5. Mot du Washington Post.<br />

6. Abed Charef, op 34.<br />

7. Mot de feu le président du Burkina Faso, Thomas Sankara, pour dénigrer les conservateurs.<br />

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