Ce fleuve qui nous sépare - Eux et nous
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« L'Algérie subit le pouvoir militaire depuis 1962 ! <strong>Ce</strong> sont les militaires <strong>qui</strong> fabriquent<br />
les décisions <strong>et</strong> fomentent des coups d'Etat ! »<br />
Bien sûr, Cheikh Ali, bien sûr !<br />
Vous avez bien pointé ce <strong>qui</strong> du Grand pays est âpre meurtrissure. Mais c'est quand la<br />
très grosse majorité du peuple algérien décidera d'en finir avec ce cancer que les<br />
militaires s'en iront. Pas avant. Pourquoi en juin, <strong>et</strong> plus tard en janvier, les militaires<br />
installeront-ils le désordre ? Parce que le désordre leur perm<strong>et</strong> de faire perdurer leur<br />
mainmise, de justifier leur hold-up de l'Etat. Parce que sans le désordre leur présence<br />
serait trop ouvertement obsolète <strong>et</strong> incongrue. Ils sont bien sûr responsables des 55<br />
morts, 326 blessés, 2976 arrestations <strong>et</strong> 12 000 licenciements 23. Mais vous êtes<br />
responsables de l'avenir politique <strong>et</strong> de la sortie de l'ornière. Vous ne pouvez gagner<br />
avec pour arme politique la déclaration virulente. Ah, vous, les Arabes ! Vous le<br />
reconnaissez pourtant vous-mêmes, que vous avez tendance au discours de feu <strong>et</strong> à la<br />
tactique suicidaire ! Puissent vos amis comprendre !<br />
Reste qu'en juin, la seule chose qu'on puisse vous reprocher, à Abassi <strong>et</strong> vous-même,<br />
ce sont des mots de menace. De Nezzar on ne peut dire autant.<br />
La Cité idéale<br />
A considérer les images vidéo prises par le FIS des premières marches, avant les<br />
violences d'Etat, mon impression dominante fut le caractère festif de ces défilés. <strong>Ce</strong>s<br />
jeunes, bras dessus bras dessous, ils chantaient, chantaient <strong>et</strong> s'enchantaient de leurs<br />
chants. Il était facile pour moi de me rappeler mai 68, ou deux ans plus tard telle<br />
occupation d'usine, où en bleus de chauffe <strong>nous</strong> croyions construire l'amorce de la Cité<br />
idéale. Hélas ! Si l'Utopie installée en Etat a dames suivantes <strong>qui</strong> sont Violence <strong>et</strong><br />
Misère, elle se dit parfois avec éclat dans l'étincelle brève de l'opposition au cynisme.<br />
Après tout, en ces printanières journées, vous l'avez construite, à p<strong>et</strong>it bataillon, à bref<br />
instant, la Cité des frères.<br />
Contrepoint<br />
Autorisez un dernier regard, porté d'un autre angle, une digression, pour songer à l'avenir<br />
de l'Algérie.<br />
Du temps de votre Splendeur, en notre Moyen Age violent, des soudards sans scrupules<br />
conduits par des barons incultes se liguèrent dans le nord de la France. Vos cousins du<br />
Machrek avaient connu ces reîtres, c'étaient les Croisés. Ils s'assemblaient à nouveau<br />
en meute, non pour tuer les enfants de Palestine, mais ceux du midi de la France. Car<br />
s'y répandait une hérésie, celle des Cathares. Les ducs du Nord massacrèrent à tour de<br />
bras. Un saint homme de leur bande aurait dit : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les<br />
siens. »<br />
23. Bilan officiel, cf. Parcours Maghrébins, 19 au 25-08-1991.<br />
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