Ce fleuve qui nous sépare - Eux et nous
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L'obligation du hidjab ? Jamais le FIS n'a proposé une telle mesure, à aucun moment.<br />
Par contre l'obligation de la « tenue décente » eût été fermement rappelée ; ce <strong>qui</strong><br />
pour certaines femmes signifiait des possibilités de brimades plus que désagréables.<br />
L'interdiction du travail féminin, voire le licenciement des femmes au travail ? La<br />
majorité de l'encadrement FIS était hostile à de tels excès. De plus la Constitution s'y<br />
oppose, mais une Constitution s'interprète, donc la menace existait en théorie.<br />
Hachani : « Le FIS n'empêchera pas les femmes de sortir <strong>et</strong> de travailler. » 14 Oui, mais<br />
à propos du travail féminin en conditions de mixité, vous Ali Belhadj vous montriez plus<br />
que réticent. Pour une femme en poste dans une banque, que croire ? Il fallait penser<br />
le pire, <strong>et</strong> adm<strong>et</strong>tre que, pour une minorité de femmes, les conditions de vie eussent pu<br />
changer fortement. <strong>Ce</strong> sont les craintes aiguës quant au statut de la femme <strong>qui</strong> ont<br />
constitué la principale raison de l'acceptation du putsch par nombre de démocrates<br />
français.<br />
Nous faisons ici de la politique-fiction, personne ne peut sérieusement dire ce <strong>qui</strong> serait<br />
advenu, avec une Assemblée FIS, de la condition des femmes vivant sous le primat de<br />
la conscience libérale. C'est là toute la question. Le FIS n'a jamais rien précisé,<br />
préservant ainsi une cohésion que les démocrates eussent dû impérativement miner.<br />
Mais dans la courte histoire de la démocratie en Algérie, il n'y eut jamais de grand débat<br />
contradictoire. Toutes les parties le craignaient. Il eût fallu exiger du FIS des précisions<br />
contraignantes : le hidjab, obligatoire ou non ? Non, eût répondu Abassi. Mais alors, la<br />
robe, longue jusqu'où ? Les boucles d'oreilles, y aura-t-on droit ? Les ennuyer jusqu'à la<br />
fracture. Casser de l'incisif de la question la cohérence floue. Au lieu de quoi les futurs<br />
modernistes préféreront la dénonciation globale, se saisiront du propos le plus extrême<br />
qu'ils déclareront loi du FIS, alors qu'en réalité les choses étaient autrement complexes<br />
<strong>et</strong> différenciées.<br />
Le FIS eût-il tenté de prohiber l'alcool ? Oui. Il était déjà interdit dans telle ou telle<br />
wilaya, la mesure eût pu être généralisée.<br />
Des tribunaux populaires ? Non. Le FIS n'arrivait pas au pouvoir dans le feu d'une<br />
révolution. Mais une modification du code pénal pour aller vers la conformité avec la<br />
charia ? Des proj<strong>et</strong>s de lois eussent à coup sûr été déposés, la bataille avec le texte<br />
constitutionnel était certaine.<br />
L'interdiction de la presse francophone ? Bien improbable, fort difficile, mais le désir du<br />
FIS première mouture d'en finir avec la francophonie, culture du colonialisme, n'est le<br />
suj<strong>et</strong> d'aucun doute. <strong>Ce</strong>rtes, le FIS avait beaucoup évolué, s'était doté d'une presse en<br />
français (El Forkane). <strong>Ce</strong>rtes, Hachani, <strong>qui</strong> est un francophone, avait ainsi défini les<br />
priorités du FIS 15 : « Le rétablissement de la confiance du peuple, l'instauration d'une<br />
véritable justice, l'assurance de la sécurité alimentaire, la garantie des libertés<br />
individuelles <strong>et</strong> collectives ainsi que la liberté de la presse en conformité avec nos<br />
constantes arabo-islamiques. » Mais c'est bien dans ces derniers mots que le bât<br />
blesse : ils peuvent être lus de deux manières opposées. <strong>Ce</strong>s constantes comprennentelles<br />
la liberté ou la limitent-elles ? Flou.<br />
14 . AA, 2 au 8-01-1992.<br />
15 . EM, 30-12-1991.<br />
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