anaLyse de la vioLence armée au burundi
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ANALYSE DE LA VIOLENCE ARMÉE AU BURUNDI<br />
Certains rapatriés viennent en groupe occuper physiquement <strong>la</strong> terre qu’ils<br />
réc<strong>la</strong>ment (« sittings »). Il n’est pas rare que ces conflits se règlent par <strong>la</strong> violence.<br />
Cette violence semble avoir changé <strong>de</strong> visage <strong>de</strong>puis environ un an : <strong>au</strong>paravant,<br />
les altercations avaient lieu le jour, et étaient principalement verbales—même si<br />
<strong>la</strong> force pouvait également être employée. De plus en plus, cette violence a lieu<br />
pendant <strong>la</strong> nuit, et comprend le recours à <strong>de</strong>s armes—souvent <strong>de</strong>s grena<strong>de</strong>s—<br />
pour détruire les maisons ou atteindre <strong>de</strong>s familles entières 140 .<br />
II.E.2. Victimes<br />
Dans les violences liées <strong>au</strong>x conflits fonciers, les victimes sont principalement<br />
<strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> famille (majoritairement <strong>de</strong>s hommes) ou les fils aînés (qui<br />
hériteront <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre). Les femmes, néanmoins, peuvent être prises pour<br />
cible dans les cas où elles bénéficient du droit d’usufruit sur une terre<br />
(Niyonkuru, 2008, p. 8). Les femmes et les enfants sont également souvent<br />
<strong>de</strong>s victimes col<strong>la</strong>térales <strong>de</strong> cette violence, lors d’attaques qui visent <strong>de</strong>s<br />
familles entières, tout comme les journaliers qui travaillent sur les terres et<br />
sont parfois pris à partie (Niyonkuru, 2008, pp. 8–9).<br />
En termes <strong>de</strong> droit foncier, les femmes représentent une popu<strong>la</strong>tion particulièrement<br />
vulnérable, car d’après <strong>la</strong> loi burundaise elles ne peuvent hériter<br />
<strong>de</strong>s terres <strong>de</strong> leur père (hormis dans les rares cas où elles n’ont pas <strong>de</strong> frères)<br />
(RCN, 2004, p. 56). Elles dépen<strong>de</strong>nt donc pour leur survie <strong>de</strong> leurs parents ou<br />
<strong>de</strong> leur mari—et <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. Il existe une proposition <strong>de</strong> loi<br />
visant à permettre <strong>au</strong>x femmes d’hériter, mais le gouvernement a décidé <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> soumettre à <strong>de</strong>s consultations popu<strong>la</strong>ires plutôt qu’<strong>au</strong> Parlement, ce qui<br />
<strong>au</strong>gure mal <strong>de</strong> ses chances <strong>de</strong> succès dans <strong>la</strong> mesure où <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />
burundaise semble être généralement hostile à cette réforme 141 .<br />
Le problème foncier touche particulièrement les rapatriés, qui sont dans une<br />
situation <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong> précarité financière et connaissent souvent mal <strong>la</strong> loi<br />
burundaise 142 . En 2008, près <strong>de</strong> 94 000 réfugiés sont rentrés <strong>au</strong> Burundi (Centre<br />
d’actualité <strong>de</strong> l’ONU, 2008). Le Burundi a connu plusieurs vagues d’exo<strong>de</strong> forcé.<br />
La première date <strong>de</strong> 1972, lorsque <strong>de</strong> nombreux Hutus, principalement <strong>de</strong><br />
Nyanza-Lac et Rumonge <strong>au</strong> sud, ont dû quitter le pays. Leurs terres—particulièrement<br />
fertiles, car en bordure du <strong>la</strong>c—ont rapi<strong>de</strong>ment été distribuées par<br />
l’administration locale à ceux qui étaient restés (RCN, 2004 pp. 8–9 ; ICG, 2003,<br />
p. 1). Les Burundais qui ont quitté le pays pendant <strong>la</strong> crise <strong>de</strong> 1993-1996 sont<br />
également nombreux, mais leur retour sur leurs terres a été en général plus<br />
facile que pour les rapatriés <strong>de</strong> 1972—l’ancien occupant, parti moins longtemps,<br />
étant plus facilement considéré par <strong>la</strong> commun<strong>au</strong>té comme le propriétaire<br />
« légitime » <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre (RCN, 2004, pp. 24–27).<br />
II.E.3. Auteurs<br />
Il existe souvent un lien familial entre les victimes et les <strong>au</strong>teurs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
violence—ou les commanditaires <strong>de</strong> cette violence—mais ce n’est pas<br />
systématique : <strong>de</strong> nombreux conflits opposent également <strong>de</strong>s rapatriés et<br />
ceux qui ont récupéré leurs terres après leur départ ; il peut s’agir d’anciens<br />
voisins, mais <strong>au</strong>ssi d’individus qui se sont installés là plus récemment<br />
(Niyonkuru, 2008, p. 9).<br />
Les actes <strong>de</strong> violence liés <strong>au</strong>x conflits fonciers sont souvent commis par <strong>de</strong>s<br />
intermédiaires, c’est-à-dire <strong>de</strong>s personnes qui n’ont <strong>au</strong>cun intérêt dans le<br />
conflit lui-même mais commettent <strong>de</strong>s violences « sous contrat » (Niyonkuru<br />
2008, p. 4). Les démobilisés, ainsi que les membres actifs et cantonnés du<br />
Palipehutu-FNL, sont souvent suspectés <strong>de</strong> jouer les « tueurs à gages » dans<br />
les affaires <strong>de</strong> conflits fonciers (Niyonkuru, 2008, pp. 4–5), sans qu’il soit<br />
possible <strong>de</strong> se prononcer sur <strong>la</strong> véracité <strong>de</strong> ces accusations.<br />
II.E.4. Quelles solutions ?<br />
Les problèmes fonciers sont particulièrement difficiles à régler en raison du<br />
flou existant <strong>au</strong>tour <strong>de</strong>s titres <strong>de</strong> propriété. Le Co<strong>de</strong> foncier ne date que <strong>de</strong><br />
1986 143 , et l’enregistrement <strong>de</strong>s terres <strong>au</strong> cadastre n’est pas obligatoire. De<br />
plus, rechercher un titre <strong>de</strong> propriété (lorsqu’il existe) ou en faire établir un est<br />
une procédure longue, compliquée, et coûteuse (un titre <strong>de</strong> propriété pour une<br />
maison <strong>de</strong> 3 ou 4 pièces dans un quartier popu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> Bujumbura revient par<br />
exemple à 800 000 FBU, c’est-à-dire près <strong>de</strong> 700 USD), ce qui explique que peu<br />
y aient recours 144 . En l’absence d’une base juridique soli<strong>de</strong> permettant<br />
d’établir le droit <strong>de</strong> propriété, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion se repose en général sur le fait<br />
qu’elle « sait » à quelle famille appartient telle ou telle terre. La résolution <strong>de</strong>s<br />
conflits ne peut donc se faire qu’<strong>au</strong> nive<strong>au</strong> local, par <strong>de</strong>s personnes qui<br />
connaissent les parties en conflit et les terres qui en sont l’enjeu 145 .<br />
Les réfugiés <strong>de</strong> 1972, lorsqu’ils reviennent, se heurtent <strong>au</strong> fait que les familles<br />
qui occupent leurs terres sont installées <strong>de</strong>puis plusieurs générations, et<br />
n’imaginent pas être dép<strong>la</strong>cées ailleurs. L’exiguïté <strong>de</strong>s terres fait que le<br />
partage entre ancien et nouvel occupant n’est en général pas une solution<br />
viable (RCN, 2004, p. 18). Dans ces conditions, <strong>la</strong> solution <strong>la</strong> plus courante est<br />
l’in<strong>de</strong>mnisation <strong>de</strong> l’ancien occupant et sa réinstal<strong>la</strong>tion sur d’<strong>au</strong>tres terres<br />
(RCN, 2004, p. 22). Mais <strong>la</strong> réinstal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s individus et <strong>de</strong>s familles pose<br />
d’importants problèmes culturels, et provoque souvent <strong>de</strong>s résistances 146 .<br />
Différentes associations tentent <strong>de</strong> régler les problèmes en amont du<br />
système judiciaire, à travers <strong>de</strong>s initiatives <strong>de</strong> médiation. L’ONG ACCORD<br />
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LES MANIfESTATIONS DE LA VIOLENCE ARMÉE<br />
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iv