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(1) Michel Onfray - Théorie de la dictature-Robert Laffont (2019)

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sources et procéder à leur examen critique, voilà ce qui semble le minimum

exigible…

Or, nous n’en sommes plus là. L’histoire ne se construit plus avec des

historiens qui cherchent à savoir comment, en travaillant sur des archives et

des documents, des témoignages et des chroniques, des livres et des objets,

mais qui estiment que la vérité est déjà construite par d’aucuns et qui

cherchent à retrouver ce que d’autres ont déjà découvert après l’avoir

postulé en amont.

Il est impossible aujourd’hui de travailler sereinement sur des sujets

comme Bernard de Clairvaux et les Croisades, Robespierre et la Terreur,

Pétain et le régime de Vichy, Hitler et la Shoah, Lénine et octobre 1917,

mais aussi sur l’islam ou le colonialisme, l’esclavagisme ou la guerre

d’Algérie, sinon, plus récemment, sur la généalogie de l’Europe

maastrichienne – pour prendre quelques exemples chauds – sans libérer un

flot de morale moralisatrice.

La généalogie à laquelle Nietzsche invitait, et qui devrait être le fin mot de

l’histoire, de l’historien et de ses méthodes, n’a plus lieu d’être. À la place,

une autre notion de Nietzsche fait la loi : la moraline, autrement dit, un mot

qui renvoie à la morale et, par son suffixe, à une substance addictive,

toxique et excitante comme les amphétamines, la cocaïne, la nicotine, la

caféine, la théine, la théobromine, la codéine. La généalogie, qui est art de

chercher, trouver et signaler les sources, laisse place à la moraline, le

produit toxique qui contamine ces mêmes sources avec un manichéisme qui

oppose le bien et le mal, les bons et les méchants, le vrai et le faux, l’info et

l’intox, et ce sur le principe d’une opposition entre le diable et le Bon Dieu.

Le pédagogisme a effacé l’histoire chronologique au profit d’une histoire

thématique anhistorique. Plus question de permettre à l’élève de se situer

dans le temps, donc dans l’espace, entre un passé qui l’a précédé, un présent

dans lequel il se trouve et un futur vers lequel il va. Jadis, une vaste fresque

ceinturait les salles de classe dans le sens des aiguilles d’une montre et

démarrait de l’homme des cavernes pour arriver à, prenons les références

du jour, la présidence d’Emmanuel Macron… Désormais, il faut être

anhistorique et cosmopolite : citoyen de la terre, donc du monde. Arrièrepetit-fils

de Lucy l’Africaine et futur grand-père du sujet transhumain.

Quand il n’y a plus d’histoire, le réel est produit par n’importe qui. Ce qui

est n’est pas parce qu’il est mais parce qu’il se trouve dit, montré, exposé.

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