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sources et procéder à leur examen critique, voilà ce qui semble le minimum
exigible…
Or, nous n’en sommes plus là. L’histoire ne se construit plus avec des
historiens qui cherchent à savoir comment, en travaillant sur des archives et
des documents, des témoignages et des chroniques, des livres et des objets,
mais qui estiment que la vérité est déjà construite par d’aucuns et qui
cherchent à retrouver ce que d’autres ont déjà découvert après l’avoir
postulé en amont.
Il est impossible aujourd’hui de travailler sereinement sur des sujets
comme Bernard de Clairvaux et les Croisades, Robespierre et la Terreur,
Pétain et le régime de Vichy, Hitler et la Shoah, Lénine et octobre 1917,
mais aussi sur l’islam ou le colonialisme, l’esclavagisme ou la guerre
d’Algérie, sinon, plus récemment, sur la généalogie de l’Europe
maastrichienne – pour prendre quelques exemples chauds – sans libérer un
flot de morale moralisatrice.
La généalogie à laquelle Nietzsche invitait, et qui devrait être le fin mot de
l’histoire, de l’historien et de ses méthodes, n’a plus lieu d’être. À la place,
une autre notion de Nietzsche fait la loi : la moraline, autrement dit, un mot
qui renvoie à la morale et, par son suffixe, à une substance addictive,
toxique et excitante comme les amphétamines, la cocaïne, la nicotine, la
caféine, la théine, la théobromine, la codéine. La généalogie, qui est art de
chercher, trouver et signaler les sources, laisse place à la moraline, le
produit toxique qui contamine ces mêmes sources avec un manichéisme qui
oppose le bien et le mal, les bons et les méchants, le vrai et le faux, l’info et
l’intox, et ce sur le principe d’une opposition entre le diable et le Bon Dieu.
Le pédagogisme a effacé l’histoire chronologique au profit d’une histoire
thématique anhistorique. Plus question de permettre à l’élève de se situer
dans le temps, donc dans l’espace, entre un passé qui l’a précédé, un présent
dans lequel il se trouve et un futur vers lequel il va. Jadis, une vaste fresque
ceinturait les salles de classe dans le sens des aiguilles d’une montre et
démarrait de l’homme des cavernes pour arriver à, prenons les références
du jour, la présidence d’Emmanuel Macron… Désormais, il faut être
anhistorique et cosmopolite : citoyen de la terre, donc du monde. Arrièrepetit-fils
de Lucy l’Africaine et futur grand-père du sujet transhumain.
Quand il n’y a plus d’histoire, le réel est produit par n’importe qui. Ce qui
est n’est pas parce qu’il est mais parce qu’il se trouve dit, montré, exposé.